Un Picasso à 70 millions de dollars

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 mai 2004 - 527 mots

Sotheby’s met en vente le 5 mai à New York quarante-quatre tableaux issus de la collection de John Hay et Betsey Whitney pour une valeur estimée à 140 millions de dollars. Rédacteur en chef du New York Herald Tribune de 1961 à 1966, puis directeur de l’International Herald Tribune jusqu’à sa mort en 1982, John Hay Whitney ne s’est jamais vanté de sa fastueuse collection. « Tous les deux avaient un œil. Ils étaient aussi aidés par John Rewald, un universitaire qui conseillait également le collectionneur Paul Mellon. Ensemble ils ont formé une collection presque infaillible », déclare admiratif Charles Moffett, responsable du département impressionniste et moderne de Sotheby’s. À la mort de son mari, Betsey Whitney crée la fondation Greentree pour abriter leurs trésors. Cette collection, dont Sotheby’s a déjà dispersé quelques arpents pour un total de 259 millions de dollars,
a de quoi faire envie. On garde en mémoire la frénésie suscitée par le Moulin de la galette d’Auguste Renoir acheté 78,1 millions de dollars en 1990 par le géant du papier japonais, Saïto. Les regards convergent cette fois vers un Garçon à la pipe (1905), un Picasso de la période rose estimé très généreusement 70 millions de dollars, soit la moitié du chiffre d’affaires présumé de la vente.
Cette série est si rare qu’on peine à trouver un tableau plus ou moins similaire dans les annales du marché. Rappelons que, depuis 1990, le Portrait du docteur Gachet détient toujours avec 75 millions de dollars le record pour un Picasso, et d’ailleurs pour tout tableau adjugé en vente publique. On imaginerait plus volontiers cet éphèbe à la pipe s’approcher des 50 millions de dollars obtenus chez Christie’s en 2001 par Une femme aux bras croisés de la période bleue. La garantie sans doute importante exigée par la fondation, de même que la rareté d’une œuvre soustraite depuis longtemps au marché, ont dû peser en faveur de fortes estimations. Pourtant dans un contexte américain puritano-paranoïaque, ce portrait d’un fumeur pourrait passer pour scandaleux. Dans un savoureux article publié en février, le magazine Vanity Fair égrenait les nouvelles amendes instaurées par l’administration de Michael Bloomberg, gouverneur de New York. Une peine de 200 à 2 000 dollars sanctionne tout détenteur de cendrier, même vide, dans un lieu public ! Que dire d’un portrait de fumeur !
La vente compte également une toile d’Édouard Manet, Courses au bois de Boulogne, estimée entre 20 et 30 millions de dollars. Le record pour l’artiste remonte à 1989 avec plus de 22 millions de dollars déboursés par le musée Getty pour la Rue Mosnier aux drapeaux. Pour la petite histoire, la notice de Sotheby’s précise que le personnage chapeauté à droite du tableau pourrait être le peintre Edgar Degas. Faute de vraiment l’identifier dans le tableau de Manet, on retrouve Degas avec deux peintures, Avant la course peint vers 1882-1888, et La Promenade des chevaux, vers 1892, estimée chacune entre 5 et 7 millions de dollars. Jusqu’à présent, seules les danseuses ou les jeunes femmes au bain de Degas ont prétendu à des prix aussi conséquents.

Collection Whitney dispersée le 5 mai chez Sotheby’s New York, tél. 01 53 05 53 05.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°558 du 1 mai 2004, avec le titre suivant : Un Picasso à 70 millions de dollars

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque