Rubens/Poussin : les deux écoles

L'ŒIL

Le 1 mai 2004 - 718 mots

Malgré son titre, « Rubens contre Poussin » n’est pas une exposition de confrontation d’œuvres de
ces deux artistes. Pas seulement du moins, la question étant plutôt d’étudier, à travers les suiveurs de l’un et de l’autre, la postérité de leurs conceptions de la peinture : le primat de la couleur pour Rubens (1577-1640), la suprématie du dessin et de la ligne pour Poussin (1594-1665). Cette querelle anime l’Académie royale de peinture et de sculpture à partir de 1670, et devient un débat public avec la publication de plusieurs ouvrages de Roger de Piles (1635-1709), diplomate et collectionneur d’art qui défend l’art de Rubens.
L’exposition s’ouvre avec une œuvre emblématique de Guido Reni, L’Union du dessin et de la couleur, offrant la vision d’une harmonie et d’une complémentarité des deux éléments. Puis Rubens et Poussin, par deux œuvres sur le thème de la Sainte Famille, posent le problème de manière évidente. Rubens théâtralise la scène par les drapés, le mouvement des corps, les rouges flamboyants, des effets picturaux qui vont au-delà du descriptif. L’œuvre de Poussin correspond pleinement aux critères prônés par l’Académie, avec une structure classique, une peinture claire et une lumière égale dans toute la composition. Avec Rubens, la peinture vit, le geste se libère : dans la Descente de Croix – réalisée par l’artiste et son atelier –, il joue sur les nuances de blancs dans un drapé qui accentue la tension dramatique et distribue les personnages entourant le christ dans une dynamique circulaire.
À l’inverse, Le Christ mort pleuré par les anges de Noël Coypel, hiératique, s’inscrit davantage dans un registre d’œuvre de dévotion, en se rapprochant des préoccupations formelles de Poussin.
L’exposition permet de définir la notion de coloris, qui ne peut être réduite à la couleur. Le coloris est selon Roger de Piles « l’intelligence des couleurs » ; il donne l’effet de profondeur, dessine les volumes par le clair-obscur. Poussin est le symbole d’une intellectualisation de l’art, avec des paysages très structurés, des contours précis qui cernent les couleurs. La ligne est fondamentale et la couleur a une valeur descriptive, tandis que Rubens incarne un art qui s’adresse davantage aux sens, une peinture de chair. Mais la question n’est pas toujours aussi tranchée, et l’exposition montre des ambiguïtés. C’est le cas de Charles Le Brun, qui se déclare grand défenseur de Poussin et qui a peint une Chute des anges rebelles très influencée par celle de Rubens. Du côté des suiveurs de Poussin, aucun doute en revanche pour Noël Coypel, dont les figures très dessinées se détachent sur un fond clair (Le Triomphe de Saturne), ou pour François Verdier (La Fuite en Égypte).
La défense du coloris implique aussi, selon Roger de Piles, certaines règles de composition, en particulier celle qu’il nomme « la grappe de raisin ». Le clair-obscur unifie les éléments, les personnages et le paysage. Dans les toiles des partisans de Poussin, on distingue clairement des groupes. Les personnages sont isolés, et le fond est un décor (Mignard, Jésus sur le chemin du Calvaire). En revanche, dans les œuvres de Largillierre présentées dans l’exposition (L’Entrée du Christ à Jérusalem ; Portement de Croix), les personnages sont en grappe, et la lumière crée une confusion qui insuffle de la vie à la scène. Roger de Piles a une conception très moderne de la peinture : elle doit surprendre le regard, provoquer des émotions. La salle consacrée aux nus met en exergue ce goût pour une peinture vivante et sensuelle, en confrontant les œuvres de Charles de La Fosse et Antoine Coypel (Le Retour de Diane) aux nus très dessinés et plus figés de Louis de Boullogne.
Nourrie d’un beau sujet, cette exposition parvient à illustrer par des œuvres significatives cette « querelle du coloris » qui constitue l’un des grands débats de l’histoire de l’art. « Une vraie question et
une fausse querelle » selon la conservatrice et commissaire Emmanuelle Delapierre, puisque c’est avant tout celle du goût et du plaisir.

« Rubens contre Poussin, la querelle du coloris dans la peinture française à la fin du XVIIe siècle », ARRAS (62), musée des Beaux-Arts, 22 rue Paul Doumer, tél. 03 21 71 26 43, 6 mars-14 juin, cat. Ludion, 196 p., 35 euros. L’exposition sera ensuite présentée au musée départemental d’Art ancien et contemporain d’Épinal (88), 3 juillet-27 septembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°558 du 1 mai 2004, avec le titre suivant : Rubens/Poussin : les deux écoles

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