Joyeux anniversaire : les trente ans de MK2

L'ŒIL

Le 1 mai 2004 - 716 mots

L’indépendance (un rien farouche), l’exigence (sourcilleuse, pour soi comme pour les autres), l’engagement (quasi charnel, entier) sont les trois qualités qui, d’emblée, caractérisent Marin Karmitz. Ces qualités fondent l’homme comme elles guident son action à la tête de MK2, le groupe qu’il créa, sans appui d’aucune sorte, en 1974, et qui fête cette année son trentième anniversaire. L’homme est attachant. On le sent, sous une méfiance de survivant, tout à la fois lucide et généreux, prêt à s’ouvrir en confiance, conscient et fier de sa réussite aussi. Et à raison : depuis l’achat de la salle 14-Juillet Bastille en mai 1974, MK2 a fait son chemin. Aujourd’hui, avec ses cinquante-huit écrans, ce groupe indépendant constitue le troisième circuit parisien de salles de cinéma et le premier circuit « art et essai » en France. MK2 est aussi un acteur marquant dans l’ensemble des métiers de la filière cinématographique – qu’il s’agisse de production, de distribution de films, d’exploitation de salles ou d’édition (de DVD et de musiques de films).
Cette ouverture du groupe reflète le parcours personnel de Karmitz qui a expérimenté, en quelque quarante ans, tous les métiers du cinéma – d’opérateur à réalisateur, producteur, distributeur, exploitant de salles, éditeur – rebondissant à chaque difficulté grâce à sa faculté de faire « bande à part », d’analyser et de subvertir depuis la marge où il se tient les règles de fonctionnement de l’univers du cinéma. Cette dialectique du pouvoir ne l’empêchant toutefois pas de se mettre, comme cinéaste puis comme producteur et distributeur, au service et à l’écoute des créateurs – d’Agnès Varda, dont il fut l’assistant sur Cléo de 5 à 7, et qui lui fit rencontrer Jean-Luc Godard, à Marguerite Duras (pour Nuit noire Calcutta) et surtout Beckett (avec la complicité duquel il réalisa Comédie, film qui ouvrit la compétition officielle de la Mostra de Venise en 1966, causa un scandale et ne fut projeté pour la deuxième fois qu’en juin 2000 à l’occasion de l’exposition « Voilà » au musée d’Art moderne de la Ville de Paris).
Se voulant témoin mais aussi acteur de son temps, Marin Karmitz s’est donné les moyens de sa liberté en s’assurant la maîtrise de la production et de la diffusion des films. Producteur de quelque quatre-vingts films de cinéastes comme Godard (Sauve qui peut la vie, 1979), les frères Taviani (Padre padrone, 1977), Kieslowski (la trilogie), Claude Chabrol, Alain Resnais, Jacques Doillon, Lucian Pintilie, Abbas Kiarostami…, MK2 assure aujourd’hui la distribution, en France et dans le monde, de plus de trois cents films, produits ou acquis par le groupe (dont, récemment, les chefs-d’œuvre de Charlie Chaplin Le Dictateur et Les Temps modernes, ou Elephant de Gus van Sant). Cette indépendance s’est finalement avérée payante : depuis 1977, MK2, présent dans les plus grands festivals de films, a reçu une centaine de prix, dont trois Palmes d’or (Cannes), trois Lions d’or (Venise) et trois Ours d’argent (Berlin).
Karmitz s’est également personnellement impliqué, depuis la création du premier 14-Juillet Bastille, dans la création de ces « lieux de vie » que sont ses complexes de salles, particulièrement les plus récents, ceux du MK2 Quai de Seine (XIXe arr.), et du MK2 Bibliothèque (XIIIe arr.), qui conjuguent aux écrans des salles d’exposition, des cafés, des espaces de débats et proposent (pour le MK2 Bibliothèque) des aménagements conçus par Martin Szekely (le fauteuil pour deux) dans une architecture de Jean-Michel Wilmotte. Marin Karmitz, amateur de design et collectionneur (avec un goût semble-t-il pour l’art des années 1960-1970) crée des lieux qui lui ressemblent : on ne coupe pas l’art de la vie, ni le présent du passé, ni le particulier de l’universel.

MK2 sera présent au Festival de Cannes, du 12 au 23 mai, avec deux nouveaux films de Kiarostami, 10 on Ten et Five. On y annonce également un hommage à Jean-Luc Godard et la projection, en sélection officielle hors compétition, de son dernier film Notre Musique. MK2-Éditions a récemment réédité, après restauration, le chef-d’œuvre de Fritz Lang Métropolis. Des éditions de films restaurés de Buster Keaton sont présentées à Cannes. À lire : Marin Karmitz, Bande à part, Grasset 1994 ; Marin Karmitz, Profession producteur, conversations avec Stéphane Paoli, Hachette Littératures, 2003 ; Marin Karmitz/Samuel Beckett, Comédie (ouvrage sur le film), coordination Caroline Bourgeois, éd. du Regard, 2001.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°558 du 1 mai 2004, avec le titre suivant : Joyeux anniversaire : les trente ans de MK2

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