Chieh-Jen, de mémoire et d’histoire

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 juin 2004 - 397 mots

Fermement tenu par deux hommes qui l’encadrent, il se laisse complètement dépouiller de ses vêtements par une femme que l’on voit de dos et dont les gestes sont d’une extrême lenteur. Meurtrier condamné à être démembré, le héros du film de Chen Chieh-Jen ne marque aucune résistance.
Il y va là de la reconstitution d’une situation réelle dont l’artiste a pris connaissance par un document photographique et dont il a imaginé en film les différentes étapes avec une froideur et une distanciation terrifiantes. Originaire de Taiwan, né en 1960, Chieh-Jen s’est fait remarquer dès la fin des années 1990 par toute une production d’images photographiques souvent difficilement supportables. Ses figures de corps nus déformés, suppliciés, entassés, dont les compositions jouent des effets plastiques de la gémellité et qui révèlent une humanité souffrante ont fait le tour du monde des biennales et autres grandes manifestations internationales.
Leur force d’impact et ce à quoi elles renvoient des visions de cauchemars où l’homme est à la fois capable et coupable ne peuvent laisser indifférent. En même temps, elles signalent leur dette à l’esthétique du body art et de la performance dont Chieh-Jen est l’un des plus fameux représentants en son pays. Puisant à toutes sortes de sources historiques, ses images – qu’elles soient statiques ou dynamiques  – sont chaque fois une invitation à une prise de conscience sur la condition humaine. Pour sa deuxième exposition à la galerie Alain Le Gaillard, l’artiste présente notamment un nouveau film, muet, moins spectaculaire mais tout aussi violent, intitulé Factory, tourné dans un entrepôt abandonné de Lienfu à Taiwan. Il y est question pour l’artiste de réactiver, le temps de l’œuvre, un espace et un temps qui ne sont plus. Une façon de mettre en jeu la mémoire d’une histoire et de mettre en exergue sa part douloureusement silencieuse au regard de l’idée d’une fatale destinée. Quelque chose de révolté est à l’œuvre dans le travail de Chen Chieh-Jen qui s’applique à montrer au monde ce qu’il se refuse à voir. Qui en appelle à des conceptions philosophiques fortes, s’aventurant « au plus profond de la loi du processus de vie, de mort et de réincarnation, avec le même sentiment tragique et inévitable du karma » comme l’a justement écrit Lin Chi-ming.

« Chen Chieh-Jen, silence/réfraction », PARIS, galerie Alain Le Gaillard, 19 rue Mazarine, VIe, tél. 01 43 26 25 35, 29 avril-10 juin.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°559 du 1 juin 2004, avec le titre suivant : Chieh-Jen, de mémoire et d’histoire

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