Lee Friedlander, documentariste social

L'ŒIL

Le 1 juin 2004 - 488 mots

Des dizaines, presque des centaines de pellicules encombrent le bureau de Lee Friedlander. De temps en temps il en développe, découvre ainsi des séries réalisées plusieurs années auparavant. Quand la série est à son goût, il fait une exposition généralement accompagnée d’un livre, le plus souvent à tirage limité… Ces dernières années nous avons pu ainsi découvrir Little Screens (les écrans de télévision), Staglieno (les statues d’un cimetière italien près de Gênes) ou Stems (tiges de fleurs dans des vases photographiées lors d’une convalescence). Les villes, surtout américaines, la nature, avec un amour particulier pour les déserts, le nu, les musiciens de jazz et l’autoportrait sont ses sujets de prédilection. Mais en 1979, à l’occasion d’une commande, il commence à se plonger dans le monde du travail qu’il photographiera par intermittence jusqu’en 1995 à l’occasion de bourses, reportages pour des magazines comme Esquire ou, parfois, à la demande d’entreprises.
La première série est physique, il photographie des industries de l’Ohio et de Pennsylvanie, les ouvriers et ouvrières travaillent le métal sur de lourdes machines, on imagine la sueur et le bruit.
La seconde série à Cleveland a été réalisée quinze ans après la première, le travail paraît moins physique, les conditions se sont améliorées. À chaque série, l’activité physique perd progressivement sa place pour être remplacée par l’activité intellectuelle.
Avec les photographies prises en 1992 des employées de la Dreyfus Corporation de New York,
le regard est focalisé sur l’écran de l’ordinateur. Puis enfin, dans les dernières photographies, les télé-opérateurs ont quasiment tous les yeux fermés… L’exposition se termine, en effet, sur une entreprise de télémarketing d’Omaha au Nebraska. Le travail physique s’est dématérialisé. La sueur est remplacée par une somnolence. Friedlander joue avec les formats et les cadrages à chaque série, toujours en noir et blanc, à la fin il ne reste plus que des gros plans de la tête, les bras ayant disparu.
Dans la lignée de Timothy O’Sullivan qui, à la fin du xixe siècle, dénonça les conditions de travail des mineurs ou de Lewis Hine qui réussit à convaincre avec ses images, à la demande du National Child Labor Committee, de réglementer le travail des enfants, Friedlander montre et dénonce à la fois les conditions de travail. Des conditions certes sans commune mesure avec celles du XIXe siècle, mais qui soulèvent quand même des questions sur le devenir du capitalisme. Révélé en 1967 par John Szarkovski et son exposition au MoMA, « New Document », où il côtoyait Diane Arbus et Garry Winogrand, Lee Friedlander reste encore aujourd’hui un documentariste social implacable de l’Amérique et de ses mythes, ne craignant pas d’apporter une touche très personnelle parfois empreinte d’humour dans ses cadrages facilement reconnaissables. L’exposition au Patrimoine photographique est une rare occasion de voir l’œuvre de ce maître.

« Lee Friedlander : At work », PARIS, Patrimoine photographique, hôtel de Sully, 62 rue Saint-Paul, IVe, tél. 01 42 74 47 75, www.patrimoine-photo.org, 30 avril-13 juin.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°559 du 1 juin 2004, avec le titre suivant : Lee Friedlander, documentariste social

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