Nils-Udo, la nature repensée

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 juillet 2004 - 1387 mots

À sa façon de n’utiliser pour matériau et pour structure que la nature, Nils-Udo intervient, sans jamais le bouleverser, sur l’ordre naturel des choses. Ses talents d’artiste-botaniste sont à voir à Châteauroux.

De tout temps, les paysages de la Bavière et le style de vie des Bavarois ont fasciné et inspiré de très nombreux artistes. Avec ses 80 km2 de superficie, le Chiemsee est le plus grand lac de cette magnifique partie de l’Allemagne. Louis II de Bavière ne s’y est pas trompé quand, après avoir découvert Versailles, fasciné par la richesse et la majesté des bâtiments, il décida d’en faire construire une réplique sur l’une des îles du lac. Quoiqu’il n’ait jamais été achevé, le château du Herrenchiemsee demeure aujourd’hui l’un des fleurons touristiques de cette région qui s’appelle le Chiemgau. Faite de plateaux de cailloutis qui alternent avec toute une enfilade de collines morainiques, celle-ci constitue l’avant-pays alpin. C’est dans ce décor de petite altitude que s’est installé Nils-Udo il y a trente-quatre ans. Quand il s’y décide, l’artiste, qui est né à Lauf en Bavière, en 1937, qui a fait des études de dessin publicitaire à Nuremberg et voyagé d’Europe jusqu’au Moyen-Orient, vient de passer une dizaine d’années à Paris. Il y a mené une activité de peintre indépendant, exposant ici et là dans de petites galeries des travaux avouant son irrésistible passion pour Van Gogh et Gauguin.

En 1970, le choix que fait Nils-Udo de s’en retourner chez lui est dans l’air du temps, et toute une population d’artistes désirent inscrire leur démarche dans un rapport direct à la nature. Quelques années auparavant, l’époque a vu naître outre-Atlantique une tendance artistique – le Land Art – qui n’a pas tardé à essaimer en Europe. Aspirant à sortir du cadre trop étroit de leur atelier, les artistes qui y adhèrent expriment leur désir d’aller travailler in situ pour se servir de la nature tant comme support que comme matériau. Nils-Udo aime à raconter que, quand il était à Paris, il allait souvent se promener au parc de Versailles et en revenait presque toujours avec des sacs pleins de feuillage vert dont il se servait pour travailler. De retour au pays, l’artiste va peu à peu laisser de côté la peinture pour commencer à faire toutes sortes de plantations sur différents terrains que lui concèdent des paysans. Curieux d’enregistrer chacune de ses interventions, comme pour en dresser le catalogue, il prend tout de suite l’habitude de les photographier. La voie est ouverte. S’il ne s’agit alors que d’inventorier les différents états du travail en fonction de son évolution, le moment vient très vite où Nils-Udo mesure que l’œuvre nouvelle est du côté de cette image unique que lui donne chaque fois la prise de vue.

Tout d’abord tirées en noir et blanc dans un format moyen puis en couleurs et en grandes dimensions, les images de Nils-Udo imposèrent très rapidement leur singularité. Sa façon de n’utiliser pour matériau et pour structure que ce que la nature lui propose est toute personnelle ; il entretient avec elle une osmose accomplie. Qu’il se contente de ficher dans la mer quelques frêles tiges de frêne et de branches d’épicéas (Hiver, Chiemgau, Haute-Bavière, 1973), qu’il enguirlande de fleurs de tagètes un rocher jusqu’à le faire disparaître (New Delhi, 1994), qu’il construise un Nid de lavande monumental à grand renfort de pierres et de chênes au flanc des collines provençales (Crestet, Vaison-la-Romaine, 1988), chaque fois Nils-Udo opère avec une grande économie de moyens perturbant sans jamais le violenter l’ordre naturel des choses. Il s’y immisce, il le surprend, il le détourne en toute subtilité. Pour ce faire, l’artiste recourt à l’outillage le plus rudimentaire et, si possible, il s’en passe, utilisant par exemple des aiguilles de pin à la place de clous pour fixer les feuilles sur un tronc. Aussi l’œuvre réalisée, quoiqu’elle ne cache pas son artificialité, semble être là depuis les temps les plus anciens.
Dans une célèbre lettre de Goethe à Charlotte de Stein en date du 22 juillet 1776, le jeune auteur qui ne lui cache pas sa déception du monde des hommes fait part à sa correspondante de sa « détermination de [s]’en tenir désormais exclusivement à la nature. Elle seule est infiniment riche ; elle seule fait le grand artiste ». Ces lignes, Nils-Udo pourrait les reprendre à son compte. Une petite note de travail l’illustre d’ailleurs au plus juste : « Une image. Une feuille chargée de fleurs descend le cours d’une rivière. La vie. » L’œuvre de Nils-Udo est tout entière préoccupée à faire image vive. Vive, colorée et construite. Jamais le terme de composition n’est aussi bien approprié au travail d’un artiste. Dans le sens d’un arrangement délibéré, d’une organisation factice, comme la nature elle-même ne l’avait pas prévu – un nid de neige (ill. 2), un lit de pétales, une flottaison de fleurs (ill. 1), un ruisseau de baies rouges, etc. « Réaliser ce qui est potentiellement possible, latent dans cette Nature existant : réaliser littéralement ce qui n’a jamais existé mais a toujours été présent, l’utopie devenue réalité », tel est l’objectif déclaré de l’artiste.

La nature, un espace, un abri
Si la série des Nids (ill. 4, 6 et 7), dont est faite pour l’essentiel l’exposition du centre d’art de Châteauroux consacrée cet été à l’artiste, en appelle plus particulièrement à l’idée de bâti, c’est qu’au fil du temps la fréquentation de la nature a conduit Nils-Udo à appréhender celle-ci de plus en plus en terme d’espace. En qualité aussi d’abri dans cette relation irrésistible de l’homme à ses origines. Qu’il soit temporaire, tout juste conçu pour faire une photographie, ou qu’il soit pérenne, parce qu’envisagé dans le cadre d’une commande publique, le construit est une autre façon pour l’artiste de s’intégrer encore plus fortement au milieu en le dotant de topos qui soient comme autant de signes forts de son inscription au monde. L’œuvre de Nils-Udo est ainsi riche d’un grand nombre de réalisations qu’il a faites ici et là avec des matériaux naturels, à l’instar de celle qu’il a imaginée pour l’exposition de Châteauroux aux abords des Cordeliers ou de ce projet monumental qu’il prépare pour les Floralies de Munich en avril 2005. Photographe et sculpteur, Nils-Udo n’en a pas pour autant abandonné la peinture. Certaines de ses photographies lui servent même de motifs qu’il reporte sur la toile selon le principe de la projection pour constituer toute une production tant de dessins que de peintures. Si ceux-ci font écho aux images photographiques, leurs façades de signes enchevêtrés offrent au regard une autre expérience du temps et de l’espace.

Tous les soins de Nils-Udo visent somme toute à nous inviter à une expérience sans cesse repensée de la nature, nous qui ne sommes rien d’autre que nature, et son art est une façon de réactiver cette mémoire latente qui nous fonde et nous fait appartenir à l’histoire du monde. Des relations de l’art et de la nature, la démarche de l’artiste met en évidence cette part d’origine qui les rassemble, réactivant paradoxalement – encore une fois ! – le vieux débat qui les oppose quant à savoir lequel de l’art ou de la nature imite l’autre. Par-delà l’ambiguïté de ses images, la réponse de Nils-Udo est claire : « Nature is the art of which we are a part » proclame-t-il à qui veut l’entendre, empruntant à John K. Grande la puissance d’une formule qui ne laisse subsister aucun doute sur la qualité d’osmose existant entre l’un et l’autre. C’est dans cet échange et dans cette dualité que l’œuvre de Nils-Udo se constitue sans que l’on ne sache plus très bien où se situe la frontière entre l’art et la nature, voire si elle existe, et quel est exactement le statut de l’artiste. « Aujourd’hui, je me contente souvent de botaniser, cueillir, étaler et donner à voir », affirme celui-ci rejoignant par-là même Joris Karl Huysmans qui aimait dire que « les horticulteurs sont les seuls et vrais artistes ».

L'exposition

« Les Nids de Nils-Udo » sont visibles du 24 juin au 5 septembre tous les jours sauf le lundi de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h, les samedi et dimanche jusqu’à 19 h. Entrée libre. CHÂTEAUROUX (36), couvent des Cordeliers, rue Descente des cordeliers, tél. 02 54 61 12 30.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°560 du 1 juillet 2004, avec le titre suivant : Nils-Udo, la nature repensée

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque