Green entertainment

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 juillet 2004 - 1302 mots

Grisé par le succès, le jardin fait désormais feu de tout bois et cherche l’insolite à tout prix, hybridant le bio, les racines historiques, le loufoque et l’urbain dans des mises en scène éphémères et spectaculaires. Les jardins, nouveau tube de l’été ? Peut-être, mais certains croient encore au développement durable.

La nature ou sa simple évocation fait recette auprès du public comme des institutions, très amatrices de son « crédit » sympathie et de l’aura bienveillante qui nimbe la moindre manifestation verte. Depuis treize éditions, le Festival international de Chaumont-sur-Loire, spécialiste des jardins-spectacles, mise sur le jardin dans tous ses états. Versatile, ostentatoire, débridé, il n’a que faire des contingences matérielles, des questions de pérennité ou même d’entretien, et recherche avant tout l’exploit technique, le coup d’œil inédit, le décalage pour lui-même. Ludique, ce jardin-là est, il faut le reconnaître, plaisant, ingénieux, inspirant. Comme en haute couture, il lance des modes, ne tient que par un miracle, camoufle parfois des budgets déraisonnables, en locomotives du jardinage, de la création paysagère et par extension de la littérature verte. L’idée marketing du siècle, la philosophie de jardin, explose les rayonnages de librairie et accentue une consommation de la nature et ses avatars sans précédent. Le jardin patrimonial comme le jardin « poudre aux yeux » font recette, preuve en est cet été le foisonnement de festivals tous très visuels.

Des nuées de végétaux
Dans la catégorie « jardin instantané », Chaumont (ill. 2, 4) reste champion toute catégorie, avec son programme imposé mais très souple – « Vive le Chaos ! » – bien plus nébuleux que l’an passé où les mauvaises herbes avaient été adoubées et célébrées avec brio et inventivité. Il faut comprendre ici le chaos sous son jour scientifique, celui de la déréliction positive. Ce chaos-là n’a de désordonné que l’apparence derrière laquelle une mécanique bien huilée se met en branle. La destruction pour mieux pouponner, c’est là un schéma naturel classique repris dans Fire Stories, création australienne autour des ressources offertes par le feu. Et de la destruction du monde à ses origines, il n’y a qu’un pas avec Tohuwabohu, élucubration germanique où la vedette est une des premières plantes apparues sur terre, l’Equisetum. Le chaos adapté dans chacune des alvéoles du festival se veut désordonné, imaginatif, parfois au-delà du raisonnable. Un peu mégalo, ces jardins-là tournent le dos au potager de grand-papa et tirent la langue aux allées sages et policées de Versailles, mais n’ont rien de punk. Ils seraient même plutôt traditionnels dans la perspective des fameux jardins anglais mis en scène à la Tate Britain de Londres (ill. 1, 3), en cette royale année du jardin. Une allure ébouriffée et sauvage pour sembler plus naturel, des allées serpentines, des bosquets touffus, des souches abandonnées, des ruines savamment orchestrées, une pelouse qui vient lécher les maisons, des clôtures remplacées par des fossés, c’est cela la grande tradition anglaise du parc paysager au désordre bien maîtrisé. La levée des contraintes visibles a poussé le savoir-faire des jardiniers dans le camp des arts majeurs, en parfaite osmose avec la peinture et la poésie. Le jardin a basculé dans le domaine conceptuel délaissant la rigidité de la symbolique religieuse des jardins médiévaux et renaissants, la rectitude et l’autoritarisme politique des splendeurs versaillaises, pour les méandres plus philosophiques des créations de Lancelot « Capability » Brown, William Kent, et au xxe siècle de Gertrude Jekyll, mère du style « cottage garden ». Le jardin sauvage victorien n’a plus rien à voir formellement avec les pitreries de Chaumont, mais ils partagent ensemble le même esprit de contradiction. Un esprit décidément contagieux puisqu’il plane également sur le parvis du Lieu unique où le jardin d’herbes mal aimées de Liliana Motta prend ses quartiers d’été (ill. 5). Elles ont toutes mauvaise presse ces plantes rudérales ou invasives, cette peste végétale mise en scène sur deux cents sacs d’un mètre cube de paille et de terre. Qu’elles soient chèvrefeuille du Japon ou arbre à papillons, elles ont juste le défaut de ne pas être nées sur ce sol mais de s’y sentir comme chez elles. Cette petite leçon de botanique et de tolérance est une bien jolie métaphore mais fera-t-elle vraiment changer les mentalités ?
On peut en tout cas s’interroger sur la réelle efficience de ces jardins de saison pour la considération de ces décors végétaux qui poussent comme des champignons tous les étés. Véritables succès publics, offrent-ils pour autant une réflexion sur le cycle de la nature, sur une meilleure connaissance de notre environnement ? Liliana Motta a mené dans la Sarthe une expérience certainement plus convaincante qu’à Nantes, moins glamour aussi. Elle y a créé une collection nationale de polygonums, plantes médicinales utilisées dans les potagers du Moyen Âge appelées des renouées bistortes, des serpentaires rouges ou des couleuvrines. Ce jardin botanique a non seulement réhabilité ces plantes, mais aussi dynamisé le petit village de Saint-Paul-le-Gaultier près d’Alençon et toute la communauté rurale alentour. « À l’inverse des réserves naturelles qui tracent des frontières et séparent, d’un côté la nature, de l’autre les hommes, il s’agit ici de reconnaître la réalité d’une symbiose, une communauté de destins, de faire naître une intimité, une complicité avec les plantes », tel est le projet exponentiel de cette artiste-botaniste argentine. Du jardin des talus et fossés pour l’académie des Arts du cirque en Seine-Saint-Denis à celui de la Condition publique, friche inaugurée à Roubaix le 15 mai dernier, son « programme » laisse découvrir l’histoire des lieux, donne un visage à des plantes, à travers un inventaire discret mais profitable. Une générosité, un don naturel qu’on retrouve à une autre échelle, dans la troisième édition de Lausanne Jardins. Installée cette année dans une vallée fossile de l’ancienne rivière Flon, véritable couloir ferroviaire depuis la fin du XIXe siècle, cette jeune manifestation mélange des projets à long terme de réhabilitation urbaine et des « coups » verts. En réinvestissant cet énorme verrou en déshérence, les jardins reconnectent les riverains à cette saignée. Les plantes partiront à l’assaut des voies et des bâtiments, camouflant au fur et à mesure l’empreinte humaine sous des nuées de végétaux.
Le clou du spectacle en cet été olympique ? Une course de haricots d’Espagne imaginée par le bureau suisse Squash Cake, avec de vrais légumes, non dopés, accrochés à des filins entre leurs plots de départ et la ligne d’arrivée. « Le temps de la performance est celui d’une saison, le spectacle se déroule durant trois mois, dans une contradiction entre le temps spectaculaire d’une course sportive et celui – imperceptible – d’une course de légumes », précisent les membres du bureau. Ces haricots/athlètes sont un peu les emblèmes de ces nouveaux jardins à penser, ceux qui s’offrent le luxe de pousser tranquillement, jour après jour, sans ostentation. Les coureurs de fond restent dans l’ombre des sprinters, ceux qui ont tout misé sur une saison et en bons marathoniens n’aiment pas trop le spectacle ou savent l’utiliser avec parcimonie. Il faut savoir les débusquer et ne pas toujours se fier aux ramages.

Les expositions

« Vive le Chaos !, 13e Festival international des jardins », du 15 mai au 17 octobre, tous les jours de 9 h 30 à la nuit. Tarifs : 8,50 ; 6,5 et 3,5 euros. CHAUMONT-SUR-LOIRE (41), ferme du château, tél. 02 54 20 99 22, www.chaumont -jardin.com « Nature(s) Unique(s) », Lieu unique, du 2 juillet au 29 août, du lundi au samedi de 13 h à 20 h. Entrée libre. NANTES (44), quai Ferdinand Favre, tél. 02 40 12 14 34. « Art of the Garden », du 5 juin au 30 août. LONDRES, Tate Britain, Millbank, tél. 44 20 7887 8008, www.tate.org.uk « La ville en mouvement, 3e édition de Lausanne Jardins », jusqu’au 17 octobre 2004, ouvert 24/24 h. Entrée libre. LAUSANNE, dans la ville, www.lausannejardins.ch

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°560 du 1 juillet 2004, avec le titre suivant : Green entertainment

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