Soleil trompeur

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 juillet 2004 - 515 mots

La région Auvergne se plie en quatre cet été et offre quatre qualités d’ensoleillement à part des collections du Frac : des astres solaires vert, rouge, noir et levant. Ces expositions font rebondir les notions d’artifice, de pouvoir et du recyclage dans son acception la plus large, avec pour postulat de départ, deux œuvres cinématographiques, pour le moins critiques. La première, Soleil vert de Richard Fleischer, diffusée en 1973, dépeignait une société gravement aliénée, réduite à consommer des tablettes de soylent vert, rouge ou orange, composées à partir cadavres humains lyophilisés ! La seconde Bowling for Columbine de Michael Moore, signait une enquête violente et sincère sur le lobby armurier américain. Leur point commun ? Le rôle central de Charlton Heston. On ne le retrouve pas littéralement dans les expositions mais l’esprit est là. « Soleil rouge » pour continuer dans cette veine aurait pu faire appel à l’opus de Chris Marker Le fond de l’air est rouge, et offre des œuvres en prise directe avec l’histoire ou le sociopolitique sans tomber pour autant dans l’illustration littérale. L’artiste s’engage comme il le peut, à l’image du chat de Séchas, peint sur fond rouge, le poing gauche levé, l’air abruti et incertain. Parce que, parfois, l’engagement se fait au détriment de la raison. « Soleil noir » est consacré entièrement aux machines infernales et animées de l’Allemand Gereon Lepper, une invasion de Veuves noires (2001) actionnées à coup d’air comprimé qui rappellent étrangement les araignées synthétiques de Minority Report, thriller futuriste de Philip K. Dick récemment adapté au cinéma. Une ambiance inquiétante et mécanique prolongée au Creux de l’enfer où le même artiste met au point de tous nouveaux prototypes à taille surhumaine, L’Appel des montagnes. Le « Soleil vert » est de nouveau un soleil trompeur, loin du bucolique ou du bio. Le vert se veut ici acide, toxique, même si les sublimes photographies de Wout Berger (exposé au printemps dernier à la galerie Polaris à Paris) ne laissent pas forcément transparaître leur degré de perversion. Et pourtant, la série Ruigoord est redoutable. Les terres entourant ce petit village hollandais lourdement polluées par l’industrie, accueillent de nouveau une flore hésitante, gracile mais courageuse. Le paysage empoisonné ne livre pas son secret mais il brûle les yeux et conduit à une solution expéditive, la culture hors sols des Dinerzeedijk. Dans ces deux grands tirages, les fougères suspendues sous serre prospèrent, sans jamais toucher terre. La nature semble avoir atteint son plus haut degré d’artificialité et de corruption, mais qui sait ? La réalité dépasse parfois les plus noirs romans d’anticipation.

CLERMONT-FERRAND (63), « Soleil vert », musée d’Art Roger Quillot, place Louis Deteix, tél. 04 73 16 11 30, 16 juin-26 septembre ; « Soleil noir », Frac Auvergne, écuries de Chazerat, 4 rue de l’Oratoire, tél. 04 73 31 85 00, 16 juin-26 septembre. ISSOIRE (63), « Soleil rouge », centre Pomel, place de Verdun, tél. 04 73 55 12 00, 2 juillet-26 septembre. THIERS (63), « Soleil levant », Creux de l’enfer, vallée des Usines, tél. 04 73 80 26 56, www.creuxdelenfer.net, 16 juin-26 septembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°560 du 1 juillet 2004, avec le titre suivant : Soleil trompeur

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