La bibliothèque d’Aimé et Marguerite Maeght : le peintre, le poète, le livre et l’éditeur

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 juillet 2004 - 769 mots

Verbe et image, plume et trait, poésie et peinture, des résonances mises à l’honneur pour asseoir l’opus estival de la fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence. Une exposition qui célèbre tout autant le bibliophile que les (nombreuses) compétences rassemblées autour de la fabrication du livre d’art. On pourra s’étonner d’ailleurs qu’une telle collusion n’ait pas été consacrée plus tôt, tant le nom d’Aimé Maeght s’agrège à la passion du livre et à l’édition originale illustrée. L’homme peut prétendre aux deux. Et c’est à lui que l’exposition rend indirectement hommage. « Profession : Éditeur ! », une précision que Maeght aimait à rappeler dans les plis d’une biographie adroitement mise en scène. Bien avant de consolider la légende du marchand-galeriste, Aimé Maeght a fait ses armes comme chromiste chez l’imprimeur Robaudy à Cannes. Dessinateur-lithographe et affichiste à ses heures, il observe et interprète très vite secrets de la mise en page et intentions des artistes. Il s’essaie même pour un temps à la création de sa propre entreprise dans les années 1930 : ce sera la brève Imprimerie des Arts. Mais c’est au sortir de la guerre, que Maeght amorce, avec une ambition qui deviendra implacable, sa profession d’éditeur de livres d’art. Improvisé courtier de circonstance pendant la guerre, Aimé Maeght bâtit rapidement un réseau miraculeux, s’entourant de peintres et poètes, Matisse, Braque, Bonnard, René Char, Pierre Reverdy, Eluard ou Aragon, avec les conseils intuitifs et audacieux du très jeune (dix-neuf ans !) disciple surréaliste Jacques Kober. C’est à lui que Maeght devra notamment les intitulés des collections futures, les cahiers de « Pierre à feu », « Derrière le miroir » ou les « Mains éblouies », dont l’exposition livre quelques fragiles exemplaires de la première heure. Se dessine alors très vite l’idée d’assembler dans une même pratique d’éditeur la poésie et la peinture, alors que le métier de l’édition et le marché de l’art traversent un âge de cendre. Installé rue de Téhéran à Paris, Aimé Maeght suscite et imagine des rencontres, tendant aux peintres et poètes un espace virginal de liberté, le lieu d’une jonction singulière et fertile. S’ensuit une première période aventureuse, risquant associations hardies et luxueux objets artisanaux, produits à perte bien sûr, avant que les années 1950 n’annoncent le triomphe d’une génération. L’exposition de la fondation tente pour partie de rendre compte de ces quelque trente années d’édition dont Jacques Dupin fut l’essentiel maître d’œuvre, en puisant dans la bibliothèque personnelle des époux Maeght. Un vertigineux trésor, bâti à partir des ouvrages maison (souvent personnalisés pour le maître des lieux) et complété par de nombreuses acquisitions auprès de grands noms de l’édition d’art parmi lesquels les précurseurs Kahnweiler, Vollard ou plus tardivement Tériade ou Skira. Un parcours menant du précieux Parallèlement associant Verlaine et Bonnard en 1900 (éditions Ambroise Vollard) au couple Octavio Paz/Antonio Tàpies réunis par les éditions Maeght en 1978, en passant par Eau et gaz à tous les étages, conçu par Duchamp et Lebel en 1959 ou l’Anthologie de l’humour noir d’André Breton, illustrée par Picasso en 1940 et remarquablement reliée par Rose Adler. C’est que l’édition originale rassemble nombre de compétences, impliquant un luxe qui point largement dans l’objet fini : le temps. Celui du poète, du peintre, de l’éditeur, du relieur, de l’imprimeur, du lithographe, du typographe ou même du fabricant de papier. Une concordance et une concentration de qualités et de complicités patientes au bout desquelles surgit le livre illustré. Au gré du parcours, en « feuilletant » ces édifices parfois rendus uniques par le travail de reliure, s’écrit en filigrane l’histoire de la réunion des territoires plastiques et poétiques dont la porosité en cette large première moitié du xxe siècle esquisse une fraternité de principe. L’effort d’imagination collective se double alors de hiérarchies fluctuantes, discutant les vocations illustratives ou synthétiques, deux inflexions esthétiques qui traversent le siècle et trouvent dans le livre un terrain sensible et théorique rêvé.
Accompagner, illustrer, rencontrer, soumettre ou fusionner, autant de pistes et alchimies possibles pour former un tout : Rouault illustre Baudelaire, Léger s’attelle aux Illuminations de Rimbaud, mais d’autres, à l’image des surréalistes partageant des objectifs communs travaillent de concert, et en 1962 c’est le poète Saint-John Perse qui est sollicité pour écrire en regard des dessins tracés par le peintre Braque sous le titre de L’Ordre des oiseaux, trahissant l’autorité gagnée des plasticiens. Au point que nombre de ces éditions précieuses se verront démembrées, pour ne conserver que l’image, amputant le dessin ou le texte de son indispensable alter ego de circonstance.

« De l’écriture à la peinture », SAINT-PAUL-DE-VENCE (06), fondation Maeght, tél. 04 93 32 81 63, 4 juillet-14 novembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°560 du 1 juillet 2004, avec le titre suivant : La bibliothèque d’Aimé et Marguerite Maeght : le peintre, le poète, le livre et l’éditeur

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