Parmi l’école de Paris, Pascin

L'ŒIL

Le 1 juillet 2004 - 868 mots

Jeanine Warnod qui fut longtemps critique d’art au Figaro et dont quelques-uns se souviendront des articles vivants et chaleureux a eu la bonne idée d’organiser au musée du Montparnasse une exposition forte d’une centaine d’œuvres pour accompagner la sortie d’un livre de souvenirs consacré à l’école de Paris. Elle est un des derniers témoins vivants de cet âge d’or de la bohème parisienne, mais surtout un témoin privilégié, puisque fille d’André Warnod, célèbre critique théâtral et littéraire d’avant-guerre, qui inventa le label « école de Paris » en 1925 et servit de fédérateur entre les peintres et les poètes, les artistes français et étrangers. Jeanine Warnod n’évoque donc pas l’école de Paris avec la distance compassée de l’universitaire ou du chercheur mais avec la spontanéité, la chaleur, parfois la gouaille d’une enfant de la balle, qui a côtoyé peintres et écrivains dès son plus jeune âge. « L’école de Paris » est une notion volontairement floue, car il s’agissait au départ pour Warnod de défendre des artistes étrangers venus s’établir à Paris entre 1905 et 1913 : Soutine, Modigliani, Pascin, Chagall, Van Dongen, Foujita, Zadkine, Lipchitz, face à une xénophobie et à un antisémitisme montant, consécutif à la Première Guerre mondiale, en les confrontant à leurs collègues français : Derain, Vlaminck, Friesz, Rouault, Valadon. En fait, l’appellation « école de Paris » désigne autant un mode de vie : la bohème cosmopolite regroupée à Montparnasse autour des cafés du Dôme, puis de la Coupole et du Sélect dans les années 1920 et 1930, qu’un mouvement artistique. Des artistes indépendants, farouchement individualistes, se réclamant de la modernité mais méfiants à l’égard des doctrines esthétiques, trop épris de liberté pour s’affilier à un mouvement d’avant-garde, trop humanistes pour renoncer à la figuration. Juifs pour la plupart, venus de Russie, de Pologne ou d’Europe orientale ils ont été brutalement confrontés aux expériences nouvelles en même temps qu’à l’histoire de la peinture découverte dans les musées. Ils ont tenté, chacun à sa manière, une synthèse originale entre traditions culturelles du pays d’origine et emprunts aux différents courants de la modernité, donnant ainsi naissance à un expressionnisme teinté de tendresse, de mélancolie, d’humour et d’autodérision. Dessinateurs, peintres, sculpteurs, ils se sont tout de suite sentis en sympathie avec ces autres déracinés que sont les poètes, surtout les voyageurs, qui avaient nom : Blaise Cendrars, Max Jacob, André Salmon, Mac Orlan ou Francis Carco.
Pascin, dessinateur de génie, encore trop méconnu, artiste de tous les excès, dont la vie de légende se confond avec l’œuvre, est sans doute la figure emblématique de la liberté et du cosmopolitisme de l’école de Paris. Le musée d’Art moderne de la Ville de Paris, ayant opté pour le nomadisme pour cause de travaux, a eu l’heureuse initiative de présenter sa collection de dessins de Pascin, qui ne sortaient guère des réserves, au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme.
Né en 1885 à Vidin, en Bulgarie dans une famille juive fortunée, qui écartera très tôt ce rejeton sulfureux, Pascin (de son vrai nom Jules Pincas) passe son adolescence à Bucarest où il aurait, dit-on, été recueilli par une patronnesse de bordel, avant d’aller faire ses classes à Vienne puis à Munich où son talent de dessinateur est immédiatement reconnu et où il travaille comme illustrateur pour le journal satirique Simplicissimus. Arrivé à Paris en 1905, il s’insère aussitôt dans la bohème de Montparnasse, le café du Dôme, où se retrouvent les émigrés d’Europe centrale. Influencé au départ par Toulouse-Lautrec, il développe très vite une manière personnelle qui se caractérise par la liberté du trait et la vitesse d’exécution. À la déclaration de la guerre, cet apatride s’exile aux États-Unis, à New York d’abord, puis en Louisiane et à Cuba, le puritanisme anglo-saxon étant trop éloigné de son tempérament. Il en rapportera quantité de peintures, de dessins et de croquis, paysages et scènes de genre grouillant de vie. Naturalisé américain, il rentre en France en 1920, s’installe à Clichy et règne sur Montparnasse. Surnommé par Paul Morand « le prince oriental » pour sa prodigalité et son goût de la fête, il mène une vie tapageuse, partagé entre deux femmes : Hermine David et Lucie Krohg, suivi d’un cortège de nymphettes qui lui servent de modèles. Il les croque sur le vif avec une virtuosité et une liberté sans égale, comme il multiplie les scènes burlesques. Pourtant de cet érotisme échevelé et polymorphe, sourd une mélancolie, sinon un désespoir. Usé prématurément par l’alcool et le plaisir, Pascin se suicide en 1930. Les cinq mille personnes, toute la bohème parisienne mêlée à une faune interlope qui suivirent le corbillard ne savaient sans doute pas qu’ils enterraient les « années folles ». La vie chatoyante de Pascin a fini par obscurcir son œuvre, éclaté et aujourd’hui dispersé. Aussi après cette mise en bouche, on attend avec impatience la rétrospective qui rendra enfin justice à l’artiste, avant tout au dessinateur.

PARIS, « Voyage dans l’intimité de l’école de Paris », musée du Montparnasse, 21 avenue du Maine, XVe, tél. 01 42 22 91 96, 28 avril-3 octobre ; « Pascin », musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, hôtel de Saint-Aignan, 71 rue du Temple, IIIe, tél. 01 53 01 86 60, 18 juin-12 septembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°560 du 1 juillet 2004, avec le titre suivant : Parmi l’école de Paris, Pascin

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