François Roche : sur le départ...

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 1 juillet 2004 - 601 mots

Quitter la France, déchirer son passeport… L’idée fait son chemin chez ce jeune bâtisseur de quarante-trois ans, décidé à fuir l’ostracisme dont il se dit victime. Non sans nier une certaine paranoïa, François Roche accepte mal un paradoxe le concernant. Alors qu’il est l’un des architectes les plus publiés après les stars du Top Ten, ces « grands prédateurs internationaux » qu’il exècre, alors qu’il enseigne à Londres ou à Barcelone, il n’a jusqu’à aujourd’hui construit qu’un seul bâtiment dans l’hexagone, une maison pour un ancien directeur de Frac. Et ses mots se font plus violents encore depuis que l’exposition « Architecture non standard » au Centre Pompidou, dans laquelle son travail était présenté, a été éreintée par la presse professionnelle. « C’était règlement de compte à OK Coral sur les Douze Salopards », renchérit l’intéressé, dans le langage émaillé de citations qu’il affectionne. « On nous reproche de créer une architecture pour happy-few, de produire des objets dédiés à l’univers de la consommation et de la mode. Mais nous aimerions tous travailler sur la question du logement social, si on ne nous en interdisait pas l’accès ! » François Roche n’a pas de mots assez durs pour fustiger la situation de l’architecture en France : « Aucune architecture ne se fait aujourd’hui dans ce pays. Tout ce qui essaie de sortir de la gangrène postmoderne ou citationnelle est ostracisé. »
Mais que propose donc François Roche pour changer la donne ? « L’architecte doit accepter de n’être qu’un maillon dont le travail consiste, sans aucune ambition idéologique, à montrer les peurs et les paradoxes d’une société », explique t-il. Alors, lorsqu’il construit un musée d’art contemporain privé à Bangkok, le B-mu, dans une ville sans centre ni périphérie, rongée par la pollution, Roche s’imprègne du biotope local, aussi vicié soit-il, pour produire un magma de béton revêtu d’une résille métallique électrostatique qui piège la poussière, clin d’œil revendiqué à « l’élevage de poussière » de Duchamp et Man Ray. Sa position, radicale, consiste à « faire avec » la pollution, plutôt que de la diaboliser. Lorsqu’on lui fait remarquer que l’idée de jeter aux yeux des habitants la déliquescence de leur environnement peut paraître agressive, Roche s’enflamme : « Pendant tout le xxe siècle, on nous a fait croire que l’architecture était le vecteur de transformation positiviste d’une société. Or l’usager n’est qu’un alibi car il n’est jamais au centre de la production. Ces propos criminellement humanistes sont encore véhiculés aujourd’hui alors que la production des villes n’a jamais été aussi ghettoïsée. » Refusant le statut d’artiste, Roche, qui ne manie plus le crayon depuis longtemps, envisage son travail comme un prestataire de service.
Ses projets sont conçus comme des synopsis qui seront ensuite scénarisés et hybridés par ordinateur. « Grâce aux technologies, l’agence peut rester artisanale, car elle peut réagir sur des projets importants sans entrer dans un rythme industriel. C’est une stratégie parfaite pour des pays en voie de développement. » Pourtant, R&Sie – le nom de son agence, pour Roche et Stéphanie Lavaux – construit dans nos riches démocraties occidentales.
À Evolène, dans le Valais suisse, un étrange musée de la glaciologie, mi-glaçon, mi-tas de bois, sortira bientôt de terre. Fruit d’un long dialogue avec les habitants, le bâtiment en mélèze fraisé mettra en scène la pureté « idéologique » du paysage suisse. « Les pays où l’architecture est audacieuse font une large place à la démocratie directe dans les choix de développement du territoire », précise l’architecte.

Mehrad Sarmadi, François Roche, Te(e)n years after, coll. « Les architectures hérétiques ». Spoiled Climate, collectif, R&Sie... architects, Birkhäuser.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°560 du 1 juillet 2004, avec le titre suivant : François Roche : sur le départ...

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