Fiac, Frieze, Art Cologne

Stratégies des foires d’art contemporain

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 octobre 2004 - 1806 mots

Trois foires d’art contemporain se bousculent pour briguer la seconde place sur le podium après l’indétrônable Art Basel.

De Frieze à Art Cologne, le mois d’octobre est engorgé par trois foires d’art contemporain. L’arrivée cavalière de la Londonienne Frieze a bouleversé l’an dernier l’échiquier habituel des salons (cf. article de Bénédicte Ramade, pp. 101-102). Elle a aussi aiguillonné les « belles endormies », Art Cologne et la Foire internationale d’art contemporain (Fiac) qui ont entamé leur cure de jouvence. D’après Gérard Goodrow, directeur d’Art Cologne, cette profusion est le gage de la force du marché européen. Une telle pléthore étonne tant les salons pèsent de tout leur poids sur les recettes, mais aussi les frais d’une galerie. Si les salons n’excèdent généralement pas 20 à 30 % du chiffre d’affaires d’une structure située dans une grande métropole, ils représentent jusqu’à 60 % pour une enseigne de province. Le foisonnement surprend d’autant plus que la raréfaction qui frappe le secteur moderne n’épargne pas son contrepoint contemporain. Même à la Foire de Bâle en juin dernier, on entrevoyait une quantité gargantuesque de propositions artistiques mais peu de chefs-d’œuvre. « On est dans une confusion mondiale, où il est difficile de faire la différence entre bons et mauvais artistes. Faire le tri est devenu impossible », reconnaît le galeriste parisien Daniel Templon. Les artistes rechignent d’ailleurs à voir leurs œuvres entassées les unes à côté des autres dans des faux airs de supermarché.
En pleine psychanalyse, la Fiac et Art Cologne se lancent à corps perdu dans un ravalement pour ne pas perdre la main (cf. p. 52 « Fiac, trentenaire et jeune première »). Boostés par leurs nouveaux directeurs, Jennifer Flay pour la Fiac et Gérard Goodrow pour Art Cologne, ces salons concentrent leurs efforts sur la section contemporaine, frisant parfois un excès de jeunisme. Art Cologne, qui avait dédaigné jusque-là la vidéo, met des cabines à la disposition des galeries et offre un meilleur emplacement aux jeunes enseignes habituellement reléguées en périphérie. Outre la section design, la Fiac inaugure un nouveau secteur, « Future Quake », composé de dix-huit jeunes galeries internationales. Ces jeunes enseignes ont souvent une stratégie plus éprouvée qu’il n’y paraît. « Le fait d’être entre jeunes galeries nous permet d’attirer en une fois le public qu’on souhaite voir venir », estime le galeriste Corentin Hamel qui prévoit notamment des peintures de Damien Mazières pour 5 000 euros ou une distillerie de Coca-Cola, édition de Frédéric Pradeau pour 12 000 euros. Le secteur « Perspectives », situé dans le même hall 5, se muscle avec trente-deux galeries. Installé depuis quatre ans à Genève, le galeriste français Edward Mitterrand prévoit un accrochage autour du thème de l’identité. Au menu le travail humoristique du Suisse Régis Golay (600 à 3 000 euros) entrevu à Art Brussels ou encore le travail sociologique sur la culture populaire américaine de l’Américain Jason Salavon (5 000 euros la série Playboy). « Le fait qu’on soit dans un espace à part, ça peut être un placard, mais ça peut aussi supposer qu’on prend notre destin en main, qu’on ne doit pas seulement dépendre de la foire pour exister », estime le galeriste. Un optimisme moins béat qu’on ne le pense tant certaines nouvelles recrues de la Fiac laissent songeur… Même son de cloche chez Hervé Loevenbruck, qu’on aurait cru plus à sa place dans le cœur de la foire. Il s’attellera à un one-man show de Stéphane Sautour dans une gamme de prix raisonnables de 650 euros pour des petits dessins à 6 500 euros pour une édition en trois exemplaires baptisée Écran total. « C’est ce que les visiteurs du hall 5 me semblent prêts à dépenser », observe le galeriste. Mais comme le remarque Grégoire Maisonneuve, les visiteurs du hall 5 seront sans doute des collectionneurs déjà très avertis. Les jeunes amateurs encore désorientés par le tourbillon de l’art actuel risquent de ne pas toujours s’y sentir à l’aise. Fort du succès critique et commercial obtenu l’an dernier à la Fiac, Grégoire Maisonneuve n’en prévoit pas moins une proposition pointue, avec notamment une vidéo de Jan Kopp baptisée Monstres (4 000 euros). Pour pallier le faible métrage des stands de « Perspectives », Valérie Cueto a fait construire un « duplex » par l’artiste Jose Davila, histoire de montrer tous ses artistes sans faire de jaloux ! Elle aura d’ailleurs toutes les chances de céder pour 6 000 euros l’île à la découpe en dents de scie de Katrin Sigurdardottir. Les considérations financières ne sont pas étrangères au choix des marchands de siéger dans le hall 5. Une galerie préfère prendre un risque pécuniaire à New York ou Miami, où les bourses des amateurs sont plus replètes, mais pas à Paris où la maille de collectionneurs est plus réduite. « “Perspectives” devrait coûter 2 000-3 000 euros pour qu’on puisse prendre des risques, faire des propositions différentes », nous confiait Hervé Loevenbruck lors de la dernière édition de la Fiac. Or cette section coûte 6 700 euros pour 30 m2. Pour la même surface, « Liste » à Bâle ne coûte que 3 700 euros.

Des publics différenciés
Certaines galeries cumulent deux foires consécutives avec des optiques différentes. Tel est le cas de Nathalie Obadia, qui se rendra à Frieze avant de regagner la Fiac. « À la Fiac, je vais présenter plutôt des choses classiques, comme une peinture de Shirley Jaffe (30 000 euros) plutôt qu’une peau tatouée de Wim Delvoye (45 000 euros) que je montre à Frieze. La clientèle à Paris est moins internationale et moins tournée vers l’art plus jeune », observe la galeriste qui, l’an dernier, avait aussi bien vendu à Paris qu’à Londres. D’après elle, le public des deux foires est capable de dépenser entre 15 000 et 85 000 euros, sommes qui semblent dérisoires au regard des centaines de milliers d’euros échangés en juin dernier à la foire de Bâle. Pourtant le total des ventes à Frieze l’an dernier avait été estimé entre 23 et 30 millions d’euros. Parker’s Box, jeune galerie alternative new-yorkaise mais francophile, participera à Frieze et à la Fiac, avec des moyens bien plus limités puisque les prix des dessins présentés varient entre 1 000 et 3 000 euros et ceux des sculptures n’excèdent pas les 7 000 euros. « On a choisi de montrer des artistes américains dans les deux villes, mais aussi des Français comme Bruno Peinado à Paris et des Britanniques à Londres. En ce qui concerne les artistes français, on les montre pour souligner qu’il ne s’agit pas d’artistes locaux. Si les collectionneurs hexagonaux ne veulent pas les acheter dans une galerie américaine, la présence de ces artistes les incitera peut-être à s’intéresser au moins à nos créateurs américains », remarque malicieusement Alun Williams de Parker’s Box. De son côté, la galerie genevoise Guy Bärtschi adhère aussi bien à la Fiac qu’à Art Cologne. À la Fiac, il présente en one-man show les petites peintures sur bois de Philippe Favier entre 6 900 et 8 500 euros. « Le choix s’est imposé car il n’est pas défendu par une galerie parisienne », explique le galeriste. À Cologne, où le marché est plus difficile, il prévoit son escarcelle habituelle avec Wim Delvoye et Jan Fabre. « Je vois à Cologne beaucoup de conservateurs. Il a fallu que je fasse la foire pour vendre au musée de Bâle un ensemble de dessins de Jan Fabre. Ça reste un marché difficile, mais peut-être a-t-on une plus grande proximité avec les Allemands en étant Suisse que Français », admet Guy Bärtschi. L’épouvantail d’une économie allemande brinquebalante n’en finit pas d’effrayer les galeries françaises qui, d’année en année, se retirent progressivement du paysage. Seules huit galeries hexagonales ont signé cette année, dont Michel Rein qui, vaille que vaille, croit en des lendemains qui chantent. Il enfonce le clou avec la même formule que l’an dernier (grandes Self Hybridations d’Orlan à 14 200 euros, un triptyque de Calais d’Allan Sekula à 9 500 euros) en y rajoutant des aquarelles à 1 350 euros de Fabien Verschaere qui a bénéficié d’une exposition récente à Bayreuth. Il opte pour de doux tarifs à la Fiac avec des caissons lumineux d’Orlan à 5 000 euros.

Créer l’événement...
Foires et galeries optent enfin pour l’événementiel. Créer l’événement, c’est bien souvent proposer des expositions monographiques. Pour être des risques financiers, les one-man show offrent toutefois plus de lisibilité à un artiste et d’écho médiatique à sa galerie. Nouvelle arrivante de la Fiac, la galerie Zlotowski s’attache à la production picturale de Le Corbusier. La galerie 1900-2000, sans déroger à ses habituels cabinets de dessins très touffus, propose un hommage à Arman. Elle reconstitue l’exposition « À toute allure », faite en 1960 à la galerie Saint-Germain. Priorité est donc donnée aux allures d’objets de 1959 et 1960, ce qui offre une vision plus réjouissante que les énièmes bronzes commerciaux, nombreux sur les salons. Après le bel hommage à Télémaque l’an dernier, la galerie Louis Carré récidive avec une rétrospective d’œuvres sur papier de Geer van Velde, figure discrète mais féconde de l’après-guerre parisien. Transfuge d’Art Paris, Suzanne Tarasiève présente chaque jour un nouvel accrochage d’œuvres récentes et inédites de ses poulains. Au menu un panorama de la peinture allemande de l’école de Leipzig, actuellement portée par le marché, avec Fencing Lesson de Tilo Baumgärtel prêté par Charles Saatchi. Le prix général des œuvres de Baumgärtel est autour de 18 000 euros. Car le tout n’est pas que les amateurs viennent une seule fois sur la foire, mais qu’ils y reviennent, avec la sensation de ne pas en avoir fait le tour.
Toutefois ni Cologne ni Paris ne battent le rappel des institutions nationales. Dans la lignée d’Art Basel et Art Basel Miami, Frieze a su faire des institutions ses alliés. En partenariat avec la Tate, le Fonds d’acquisitions extraordinaires de Frieze, à hauteur de 100 000 livres sterling, a été conçu pour permettre à quatre conservateurs d’acquérir des œuvres de jeunes talents. Une telle démarche semble inconcevable en France. À se demander à quoi servent les institutionnels du comité de pilotage de la Fiac… Si le succès d’une foire se mesure enfin aux salons off qui s’y greffent comme Liste à Art Basel ou les Scope Fairs à Art Basel Miami et à l’Armory Show, notons qu’Art Cologne connaît un dérivé avec Rheinschau Art Cologne Projects, réunissant trente galeries d’avant-garde. Scope vient de se coller à Frieze. La Fiac ne suscite aucun dérivé...

- Frieze Art Fair, 15-18 octobre, LONDRES, Regent’s Park Ville, tél. 00 44 207 692 00 00, www.friezeartfair.com - Fiac, 21-25 octobre, PARIS, porte de Versailles, tél. 01 41 90 47 80, http://fiac.reed-oip.fr - Art Paris, 22-25 octobre, PARIS, Carroussel du Louvre, tél. 01 43 16 48 41, www.artparis.fr - Art Cologne, 28 octobre-1er novembre, COLOGNE, tél. 00 49 221 821 25 74, www.artcologne.de

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°562 du 1 octobre 2004, avec le titre suivant : Stratégies des foires d’art contemporain

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