(des)illusions de William Kentridge

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 octobre 2004 - 447 mots

Propulsé star internationale à la faveur de la Documenta X en 1997, William Kentridge n’en finit pas de décliner et renouveler avec bonheur ses fragments singuliers de story-boards. Et l’année 2004 est venue consolider le bon accueil que lui réserve la France depuis la mémorable exposition de la Vieille Charité à Marseille en 1999. Après Valence, c’est à Annecy que l’artiste sud-africain pose à nouveau et véritablement son univers. Il y assemble dessins, documents, moniteurs et autres dispositifs de projection au service d’une pratique complexe et engagée, toujours subtilement fardée d’amertume tranquille, de dramaturgie sociale et de manières mélancoliques. Le parcours alterne pièces inédites et projections documentées, intégrant avec justesse l’intelligence sombre et débordante de celui qui dit s’intéresser fermement à un art et à une politique où « l’optimisme est maintenu en échec et le nihilisme aux abois ». Figures finalement aléatoires exécutées par des fourmis guidées par la trame du dessin et filmées par l’artiste, croquis préalables à une mise en scène à venir de la Flûte enchantée projetés sur tableau noir, série de films courts convoquant Méliès, son atelier, ses ressources et ses trucages, les œuvres présentées se glissent sans peine dans les processus et mécanismes archaïques de manipulation chers à Kentridge. On y retrouve les procédés d’inversion, par projections de bandes à l’envers, par retournement du jeu négatif/positif des pionniers de l’image animée. On y retrouve encore un trait qui oscille entre le tranchant sec de la ligne, lorgnant du côté du burlesque acide d’un Beckmann ou d’un Grosz, et la rondeur de la figure esquissée au fusain, repassée, épaissie, renflée. Un dessin en noir et blanc, privé de toute tentation pittoresque, plantant figures et objets dans un décor/paysage précaire. Et toujours l’armature légère et fragile de ses croquis révèle la progression du dessin, bien plus qu’elle ne dévoile une trame narrative. Conservant une même planche, avec ses repentirs, ses métamorphoses, ses discontinuités. Les dessins projetés se montrent, s’exposent, comme autant de résidus précaires, de traces et du mécanisme même de la mémoire qui transforme, sélectionne, imprime, oublie et efface. À l’image de la plus célèbre de ses séries de courts films, Drawings for projections, engageant à chaque épisode Soho Eckstein, nabab ventru et capitaliste décadent, et Félix Teitelbaum, citoyen écrasé par sa conscience et son impuissance. Au fil des fragments, les deux archétypes se croisent, se raccordent, s’ajustent et se ressemblent, pour finalement s’équilibrer tant bien que mal et incarner l’imperfection hasardeuse des hommes et de l’artiste lui-même. Irrésolu. À l’image de ses dessins.

« William Kentridge », ANNECY (74), musée du château, 28 octobre-31 janvier 2005, conférence avec l’artiste, le 28 octobre à 20 h, renseignement 04 50 33 87 30.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°562 du 1 octobre 2004, avec le titre suivant : (des)illusions de William Kentridge

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