Les tentations de Venise

L'ŒIL

Le 1 octobre 2004 - 589 mots

Déclinant le thème de la métamorphose sous l’intitulé « Metamorph », l’exposition de la IXe Biennale d’architecture de Venise, déployée entre les Corderies de l’Arsenal et les Giardini, permet au visiteur d’opérer une mise à jour opportune des mutations, des réflexions, des utopies qui agitent le monde de l’architecture et de l’urbanisme depuis deux décennies. Elle autorise une sorte de révision générale des réalisations et des projets de quelque 160 agences, efficacement mis en scène par Asymptote – de Peter Eisenman (Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière), Richard Meier, Paul
Andreu, Jean Nouvel, Frank O. Gehry, MVRDV, à dECOI, Manuelle Gautrand, Toyo Ito, Zaha Hadid, Nox… –, certaines grandes figures manquant à l’appel, tels Rem Koolhaas et Herzog & de Meuron.
Les diversités d’approches rendent aléatoire toute lecture globale, mais quelques tentations générales se dégagent : celle du camouflage – recouvrir un bâtiment sans qualités particulières d’une housse, d’une résille, d’une structure transparente ou non (cf. le projet navrant de Perrault pour le théâtre Marinsky de Saint-Pétersbourg) ; celle des formes organiques qu’autorise l’informatique – plis, blobs, nuées, pods et gousses divers… (Coop Himmelb(l)au et son peu convaincant musée des Confluences) ; celle du recyclage et des matériaux écologiques (Shigeru Ban et ses bambous tissés pour le Centre Pompidou Metz) ; celle, enfin, de l’objet, de l’esthétique de bijou – ou de la savonnette taillée – mis au format gratte-ciel, mais dont les espaces intérieurs ne sont jamais clairement définis.
L’aspect le plus perturbant de cette Biennale est le sentiment d’impuissance qui s’en dégage, celle de l’Occident face à l’anarchie des bidonvilles africains et des mégapoles sud-américaines, et l’impossibilité de croire encore aux bienfaits des modèles indiscutés. Cette impuissance, trois pavillons la démontrent, à leur corps défendant : ceux de la France, de la Belgique (Lion d’or 2004) et de la Suisse. Le projet « Kinshasa, la cité de l’imaginaire » du pavillon belge, dont le Lion d’or ne laisse d’étonner, se contente d’un constat fasciné et esthétisant sur l’état désastreux de la ville, reprenant des antiennes dignes des pires discours néocoloniaux (le « sens du rythme » des Africains, la primauté du corps, la pensée magique, le lien social persistant par-delà la pauvreté…). On passera vite sur la Suisse, qui se contente d’asséner quelques formules péremptoires (en anglais uniquement) sous forme d’inscriptions monosyllabiques. Le pavillon français, quant à lui, aurait bien mérité la palme du ridicule : trois équipes de « sachant », soit une quinzaine d’architectes et de paysagistes, ont été chargées de réaliser en deux jours, au cours d’un jeu (!), la maquette d’une « ville durable » du futur, se développant sur un site existant à cheval sur Paris et sa banlieue Nord, saisie au cours de trois étapes de développement (en 2014, 2034, 2064). Les maquettes improbables nées de ces cogitations regorgent de « cimetières verticaux », de « hangars à Zeppelin », de « terrains de sports sous des toitures de photovoltaïques » ou « d’élevage de cochons noirs » sur les toits. Elles sont présentées à Venise, accompagnées des captations filmées des dialogues auxquels a donné lieu ce brain storming allumé. Nul doute que cela prendra, au fil du temps, l’aspect cocasse et désuet de curiosités, à la façon de ces représentations de l’an 2000 imaginées à la Belle Époque, et que cela fera le bonheur des bouquinistes du futur, s’ils existent encore, mais on se demande vraiment ce qu’allaient faire Philippe Madec, Jacques Ferrier, Rudy Ricciotti, entre autres, dans cette galère.

Xe Exposition internationale d’architecture, VENISE, jusqu’au 7 novembre, www. labiennale.org

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°562 du 1 octobre 2004, avec le titre suivant : Les tentations de Venise

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