Photographie plasticienne

L'ŒIL

Le 1 novembre 2004 - 695 mots

Dans l’un de ses précédents ouvrages, La Photographie plasticienne, un art paradoxal (éditions du Regard, 1998), Dominique Baqué s’était livrée à l’examen des conditions ayant présidé à la graduelle relève de la peinture par la photographie, consommée avec la fin de la modernité, ainsi qu’à son avènement « plasticien ». L’occasion, pour l’auteure, de pointer deux données problématiques. D’une part, la banalisation de la pratique photographique arty et son irrésistible absorption par le champ des arts plastiques. D’autre part, la minoration de la photographie en tant que médium majeur – un « médium pauvre, cerné de toutes parts par l’utilitaire et le consommable » –, avec sa conséquence ontologique, le doute.
Photographie plasticienne, l’extrême contemporain se présente comme la suite chronologique de cette investigation fondatrice. Le cadre temporel en est fourni par la dernière décennie, jusqu’au présent le plus immédiat. Particulièrement ciblées, analysées avec une profondeur qui soutient constamment l’intérêt du lecteur, les thématiques y sont les suivantes : la banalité, l’intime, la recherche d’un lieu où vivre (le paysage, la ville), le posthumain, la question de l’image documentaire. Des thématiques de paix, qu’il reviendrait aux photographes d’inventorier d’un œil léger ? Assurément non. Quoique à même d’être circonscrit en une écriture photographique spécifique, chacun de ces domaines n’est pas sans constituer le lieu d’une crise, crise de l’image, crise aussi, en parallèle et de façon spéculaire, de notre condition vitale. Effet de ce « doute » du Photographique évoqué plus haut et effet, plus encore, de la perte de foi dans le visuel. Se voit ainsi posée, dans chaque cas, la question de la crédibilité de l’image, outre celle, pendante, de la capacité de cette dernière à faire signe vers le réel même, un réel auquel il semble devenu aussi ardu que complexe de donner une représentation photographique se défiant de l’artifice, de la sidération, de la manipulation – ou de la répétition, plus simplement.
S’il est un maître mot pour qualifier cet essai, ce sera celui, emprunté à la terminologie rawlsienne, de l’équité. Il est peu de dire que Dominique Baqué n’aime pas plus les faiseurs que les promotionnés de la dernière heure. En termes de sélection, son approche privilégie plus volontiers la photographie critique ou pensive, celle qui opère à rebours du débraillé, de l’expressionnisme, du sensationnalisme. De là, de concert avec l’appui mis sur nombre de figures dela photographie intellectualisante (Koester, Knorr, Bélégou, Tosani, Cohen...), la sourde gravité du propos, l’intensité sombre d’une réflexion toujours anxieuse d’une possible déperdition de la valeur iconique ou de sa prostitution aux images faibles ou faciles, celles que diffuse à présent, en particulier, l’« écran » universel des grands médias électroniques. Si cet ouvrage est singulier, tout bien pesé, c’est par son statut de liber dolorosus, de « livre douloureux ». Comme nulle part ailleurs dans les écrits récents consacrés à la photographie contemporaine (ceux d’un Michel Poivert, notamment), on y consigne l’hypothèse de la vacuité de toute représentation (passionnant chapitre, à ce titre fort éloquent, que celui intitulé « Le sujet inquiet de lui-même »), une hypothèse déclinée de manière lancinante comme le long thrène de notre difficulté à nous regarder vivre et, partant, à nous représenter. Autant le dire : cet essai est noir, il ne cultive que modérément l’euphorie et les enthousiasmes fulgurants, il est souvent cassant, aussi, sans concession aucune pour nos faiblesses esthétiques. Abjuration du Spectacle, haine des écritures photographiques de la séduction. Au vrai, la seule photographie qui vaille aux yeux de Baqué est celle qui problématise la vie, le visible et le sens.
Non moins notoire, dans cet ouvrage, s’avère enfin la position de l’auteure. Position, en l’occurrence, revendiquant une pleine subjectivité, et confessant sans détour, en un ultime chapitre laudateur et transi d’émotion, ses propres admirations (le premier Christian Boltanski, Lynne Cohen, Victor Burgin...). Cette subjectivation du propos pourra choquer : par définition, elle restreint les listes, surdétermine les engouements, rend suspect l’inventaire. Elle sert en revanche de bas les masques, pour signifier que Dominique Baqué a choisi son camp – celui des ennemis irréductibles de la doxa, de l’opinion et de ses conditionnements.

Dominique Baqué, Photographie plasticienne, l’extrême contemporain, éd. du Regard, 2004, 300 p., 37 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°563 du 1 novembre 2004, avec le titre suivant : Photographie plasticienne

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