De l’acteur au mythe

L'ŒIL

Le 1 novembre 2004 - 1095 mots

À travers près de deux cents tirages, l’exposition « Figures de l’acteur » se propose d’explorer les différentes facettes de la photographie d’acteur des années 1930 à nos jours. Depuis les portraits du studio Harcourt jusqu’aux icônes revisitées par Pierre et Gilles, plongée dans le mystère du comédien, lorsque l’homme s’efface devant le mythe.

Personnage multiple par excellence, l’acteur ouvre au photographe la voie de tous les possibles. La question du double, de l’effacement de soi, les jeux de miroir, d’ombre et de lumière sont des éléments familiers à l’univers de l’un comme de l’autre. Claire Jacquet et Michaël Houlette, commissaires de cette exposition, ont conçu le parcours en trois parties : les scènes de tournage, les photographies de plateau, les clichés destinés à la promotion des films et des acteurs. Trois étapes et autant de manières d’appréhender la « figure de l’acteur », de son travail à sa mythification, à partir d’un choix qui puise principalement dans l’iconographie du cinéma français. Ces images appartiennent pour la plupart aux collections d’État conservées par le Jeu de Paume.
L’acteur apparaît d’abord au sein de toute une machinerie, il n’est qu’un élément du film, un homme qui fait son métier et qui va glisser dans la peau de son personnage jusqu’à perdre sa propre identité. Nombre d’images montrent alors l’acteur au cœur de la fabrication du film, avec les caméras, les travellings, les équipes techniques (le tournage de La Reine Margot de Jean Dréville, en 1954, vu par Emmanuel Lowenthal, celui du Diable au corps de Claude Autant-Lara photographié par Raymond Voinquel en 1947 ou de L’Atalante de Jean Vigo, en 1953, par Roger Parry, n° 3). Cette section permet d’étudier les rapports entretenus entre la production, le réalisateur et le photographe de plateau, qui ont évolué en même temps que le matériel technique. Dans le cas de Raymond Voinquel, le photographe est assujetti au travail du réalisateur. Il propose une imagerie glamour où la lumière est très étudiée, avec de nombreuses scènes de baisers, des photographies qu’il retouche et dont les tirages sont d’une qualité exemplaire – la plupart de ceux présentés ici sont des originaux. Il a photographié les plus grands et laissé des images inoubliables de Jean Gabin, d’Arletty, de Danièle Darrieux, de Catherine Deneuve dans Belle de jour de Luis Buñuel (n° 4). Roger Corbeau est représentatif d’un autre type de photographe de cinéma, plus libre. Corbeau transforme les mises en scène, ne respecte pas les cadrages du réalisateur, change les lumières, propose une autre vision du film tout en en gardant l’esprit. La photographie d’Anthony Perkins dans Le Procès (n° 1), par exemple, n’est pas une image du film, on n’y voit jamais ce cadrage. Elle permet pourtant une identification immédiate de l’œuvre d’Orson Welles. Un documentaire présenté dans l’exposition rend compte de sa manière d’envisager son travail et le rapport particulier qu’il entretient avec le cinéma.
Comme le fait remarquer Michaël Houlette, les photographies de plateau rappellent à certains égards les grands tableaux historiques, par des vues en plan large de scènes composées et très figées. Pour souligner cet aspect, l’exposition montre le travail de Sugimoto mettant en scène des personnages en cire, dans une série de compositions où tout est fictif.

L’acteur au-delà du film
Selon la volonté de Régis Durand – directeur du Jeu de Paume – des images contemporaines ponctuent le parcours. Celles-ci sont des œuvres d’artistes qui viennent souligner telle ou telle question posée par les clichés anciens, ce ne sont pas des photographies de plateau. Le montage vidéo de Pierre Alferi introduit l’un des grands sujets de cette exposition, la question du double, à travers la vie tragique de Lon Chaney, mort au cours de son premier film parlant et qui est l’exemple type de l’acteur qui se fond totalement dans son personnage au point d’en vivre réellement les situations. Le travail de Xavier Boussiron est d’un tout autre ordre. Consacré aux photographies de Norbert Krief, second rôle photographié à côté de grandes stars, il évoque le désir d’appartenir à ce monde en créant son propre mythe. Douglas Gordon évide les yeux de ses modèles, qui deviennent des masques sans expression que chaque spectateur peut lui-même réincarner. Pierre et Gilles ont encore une autre approche du portrait. À leurs débuts, ils photographient notamment Bernadette Laffont (1982, n° 5), comme une sorte d’icône séduisante en noir et blanc avec déjà, en fond, le décor kitsch qui caractérise aujourd’hui leur travail. Les images contemporaines agissent ici comme des respirations, des clins d’œil, témoignant aussi de l’admiration de certains pour des photographes anciens – Pierre et Gilles pour Sam Lévin, par exemple.
La troisième partie de l’exposition montre que les photographies destinées à la promotion des films ont une importance considérable dans le phénomène d’élévation des acteurs au statut de mythe. Le studio Harcourt joue un rôle décisif, en particulier au cours des années 1940-1960. Il était d’ailleurs tellement prestigieux d’être immortalisé par Harcourt que nombre d’anonymes s’y faisaient photographier. « En France, on n’est pas acteur si l’on n’a pas été photographié par les studios d’Harcourt. L’acteur d’Harcourt est un dieu ; il ne fait jamais rien : il est saisi au repos », écrit Roland Barthes dans Mythologies en 1957. Les portraits d’Harcourt, tous du même type, subliment les expressions et ne montrent le comédien qu’au sommet de sa beauté. « Le visage est ici un objet romanesque ; son impassibilité, sa pâte divine suspendent la vérité quotidienne, et donnent le trouble, le délice et finalement la sécurité d’une vérité supérieure », ajoute Barthes. Les années de gloire d’Harcourt ont vu passer au studio tous les acteurs qui comptent ou ont compté. L’exposition présente des portraits de Michel Bouquet, d’Anna Magnani, d’Ingrid Bergman, de Jacques François ou de Serge Reggiani. Sam Lévin connaît la gloire au moment où Harcourt commence à décliner. Photographe de plateau, il ouvre également son propre studio. Lévin propose des mises en scène plus modernes qui séduisent notamment Brigitte Bardot. Elle lui confiera son image durant toute sa carrière. Certains clichés, devenus de véritables icônes, ont contribué à sa gloire. La mythologie de l’acteur se fabrique bien au-delà des films dans l’imaginaire du spectateur, par l’intermédiaire de la photographie. Ce que montre de façon éblouissante cette exposition.

L'exposition

L’exposition « Figures de l’acteur » est ouverte du 15 octobre au 2 janvier, tous les jours sauf le lundi de 10 h à 18 h 30. Plein tarif : 5 euros ; tarif réduit : 2,5 euros. PARIS, Jeu de Paume, site Hôtel de Sully, 62 rue Saint-Antoine, IVe, tél. 01 42 74 47 75, www.jeudepaume.org.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°563 du 1 novembre 2004, avec le titre suivant : De l’acteur au mythe

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque