Barthélémy Toguo, digérer le monde

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 novembre 2004 - 403 mots

Comme toutes les villes africaines, M’Balmayo, celle où est né Barthélémy Toguo au Cameroun en 1967, grouille d’une intense activité et d’inextricables embarras qui n’auraient pas manqué d’inspirer Boileau. De l’aveu de l’artiste, ces scènes colorées et mouvementées dont il a très tôt illustré l’agitation ont véritablement décidé de sa carrière et de sa démarche. Les sortes de camions en bambou qu’il a alors fabriqués, le concept de transit qu’il a par la suite développé et qui règle son travail, l’usage qu’il fait de la sculpture en bois taillé à la tronçonneuse, le goût du dessin brut et imagé, son intérêt pour la réalisation d’installations ficelées et bricolées, tout vient de là. Après l’école des beaux-arts d’Abidjan, Toguo a eu beau fréquenter celle de Grenoble, puis celle de Düsseldorf pour venir finalement s’installer à Paris, rien n’y a heureusement fait : il a gardé intactes en lui toutes les qualités propres à sa culture. D’une parfaite lucidité sur tous les mécanismes sociaux et politiques qui régissent les relations entre l’Afrique et l’Occident, l’artiste a choisi d’en faire le vecteur récurrent d’une œuvre polymorphe que caractérisent savoir-faire technique, inventivité et esprit critique et qui s’informe dans une production ouverte à tous les possibles. Barthélemy Toguo n’a pas son pareil pour conjuguer références culturelles de son pays, éléments de sa biographie et réflexion sur la marche du monde. D’une inépuisable énergie qui n’égale que son impatience à s’interroger sur le destin de l’homme en ces temps si troublés des XXe et XXIe siècles, il construit une œuvre qui se veut vivante, tout à la fois multicolore, multiculturelle et multinationale, qui outrepasse toute considération de frontière. « Utopie ! », s’exclameront certains. Peut-être mais, depuis la nuit des temps, n’est-ce pas ainsi que s’écrit l’histoire de l’homme ? Intitulée « The Sick Opera », son exposition au
Palais de Tokyo rassemble différents travaux dont une série de récentes aquarelles, superbes mais féroces, toutes centrées sur l’image du corps, visant à la célébration de la vie dans tous ses états. Dessins, sculptures, installations et performance chorégraphique sont au programme d’un tout que l’on pourrait croire dispersé et confus mais que structure et fédère une pensée du monde après que l’artiste a digéré les maux et travers de ce dernier.

« Barthélémy Toguo – The Sick Opera », Palais de Tokyo, PARIS, 13 avenue du Président Wilson, XVIe, tél. 01 47 23 54 01, 13 octobre 2004-18 janvier 2005.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°563 du 1 novembre 2004, avec le titre suivant : Barthélémy Toguo, digérer le monde

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