Anish Kapoor : fragiles métaphysiques

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 décembre 2004 - 381 mots

On se souvient de l’intervention toute en rondeur, en secrets et en puissance d’Anish Kapoor à la Tate Modern en 2002 : Marsyas, ode de 160 mètres de long, à celui qui défia Apollon dans l’exercice de la flûte et fut vaincu, rappelant le péril encouru par l’artiste qui rivaliserait avec les dieux. Un gigantesque boyau épousait le long volume de la Turbine Hall, à la confluence de la sculpture et de l’architecture. Pure expérience poétique et spatiale, la longue membrane sombre amorçait un jeu paisible de résonances et de solennité, de vertige et d’introspection. Une forme simple, pour un effet totalisant et irrésolu ; Kapoor confirmait alors l’inflexion métaphysique (voire mystique) guidant désormais sa pratique autant que la nécessaire inscription de son travail dans l’environnement investi. Rien d’étonnant alors à ce que l’artiste britannique né à Bombay pose sa pratique gigantiste de réverbérations et complémentarités dans les tranquilles espaces du Grand Hornu. Avec la complicité de Laurent Busine, le maître des lieux, Kapoor compose un parcours libre et émouvant de gouaches et de sculptures. Œuvres ouvertes, fragiles, renvoyant à leur propre substance autant qu’à la rencontre faite avec le spectateur, œuvres à franchir, à délier, autant qu’à voir, les copieux volumes de Kapoor engagent un corpus de dissolutions et d’apparitions, une épreuve synthétique, réconciliant les parties avec le tout. Ou plutôt, générant une mobilité et une complémentarité constantes entre fini et infini, opposé et uni, plein et vide, extérieur et intérieur, esprit et matière, par la consubstantialité de l’œuvre et de l’espace occupé. Aux côtés des nombreuses gouaches, épaisses, profondes, Kapoor noue espaces, couleurs et formes. Avec Melancholia, produite pour l’occasion, le sculpteur renoue avec la monumentalité de Marsyas, menant un cercle vers un carré par la médiation d’une ample toile translucide tendue entre ces deux formes élémentaires. Un principe de métamorphose qu’il sonde encore avec My Red Homeland (2003), immense creuset circulaire, chargé d’une matière rouge et graisseuse mise en mouvement par un dispositif mécanique. L’installation monochrome d’un rouge sanguin, d’un rouge terrien projette alors le corps du spectateur dans un étrange rapport de désir et d’appréhension. Une alchimie douce et secrète qui dicte l’ensemble du parcours.

« Anish Kapoor, Melancholia », GRAND HORNU (Belgique), MAC’s, rue Sainte-Louise 82, tél. 32 065 65 21 21, 24 octobre-6 mars 2005.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°564 du 1 décembre 2004, avec le titre suivant : Anish Kapoor : fragiles métaphysiques

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