L’art islamique peine à séduire le marché

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 27 septembre 2007 - 769 mots

Malgré les préjugés actuels, les arts islamiques occupent une place croissante dans les musées. Le marché, quant à lui, ne plébiscite que les pièces exceptionnelles.

Poudrière contaminée par un fondamentalisme galopant, le Moyen-Orient fut pourtant le berceau de civilisations éclairées. « Il existe beaucoup de préjugés, le premier étant même l’inexistence d’un art en terres musulmanes, regrette la galeriste Corinne Kevorkian. Ce préjugé s’explique par le fait que certains arts majeurs de la tradition chrétienne, comme la peinture à l’huile, n’apparaissent que tardivement en Orient. Il n’y a pas dans ces pays d’art pour l’art, mais un art appliqué, qui est le prolongement de la vie quotidienne. »

La céramique islamique plus accessible que celle d’Asie
Comme dans l’art d’Extrême-Orient, la céramique occupe une place de choix. « En termes d’innovations techniques, la civilisation islamique peut être comparée à la Chine, affirme Corinne Kevorkian. Elle a inventé des procédés, comme l’utilisation du bleu cobalt sous glaçure. Mis au point aux XIe et XIIe siècles en Iran, il fut transmis par la suite à la Chine. » Inversement, dans la céramique samanide du xe siècle à Nichapur, en Iran, on retrouve les trois couleurs, vert, jaune et manganèse, inspirées des céramiques Tang. Les enroulements de nuages et les décors de vagues et rochers, visibles dans la céramique ottomane d’Iznik, empruntent aussi aux décors chinois.
Plus généralement, certaines techniques trahissent la volonté de s’approcher au plus près de la porcelaine chinoise, notamment le recours à la pâte argileuse et à l’émail stannifère. Les prix des céramiques islamiques n’atteignent toutefois pas les pics de l’art asiatique.

Que choisir, la céramique Iznik ou médiévale iranienne ?
Globalement, Iznik reste la production la plus cotée. En 2000, lors de la vente du docteur Chompret, le cheik du Qatar emporte un grand plat daté vers 1550-1555 pour environ 550 000 euros. Aujourd’hui, seules les pièces exceptionnelles tirent leur épingle du jeu. C’est le cas d’un plat bleu et blanc daté vers 1480-1500, de la période dite d’Abraham de Kutaya, adjugé pour 400 000 livres sterling (592 000 euros) chez Christie’s en 2006.
Face à de tels montants, les prix de la céramique médiévale iranienne semblent en sourdine. « Le problème, c’est que les pièces sont souvent cassées, du coup elles sont très restaurées ou incomplètes. Il y en a aussi pléthore sur le marché. Pour qu’une pièce se vende, il faut que la glaçure soit très belle et, dans le cas des céramiques épigraphiques, que le graphisme soit puissant », observe l’expert Laure Soustiel. Les belles pièces minaï, c’est-à-dire de petit feu, du XIIIe siècle, peuvent valoir entre 10 000 et 90 000 euros. Très recherchés aussi, les carreaux réalisés en cuerda seca, technique de séparation des couleurs apparue en Asie centrale à partir du XIVe siècle.

La miniature persane... petit format, petit prix ?
La céramique crée un véritable pont avec d’autres spécialités. Les motifs déclinés sur les plats se retrouvent ainsi dans la miniature persane. L’âge d’or de l’art du livre se cristallise du XVe au XVIe siècle, sous la dynastie des Safavides (« L’art de l’Iran safavide » à partir du 5 octobre au musée du Louvre). Les manuscrits tordent le cou au préjugé sur l’absence de figuration dans l’art islamique. Celle-ci existe indiscutablement, mais de manière stylisée, pour ne pas concurrencer l’œuvre de Dieu.
Pour décoder les thèmes, une bonne connaissance de la poésie persane, notamment du Shah Name, le Livre des Rois du poète Ferdousi, s’avère nécessaire. Une longue contemplation est tout aussi recommandée car les détails sont souvent aussi importants que les personnages principaux. À nouveau, on décèle une influence asiatique dans les rochers colorés, empruntés aux montagnes figurant dans les peintures chinoises introduites en Iran par la route de la soie. Les feuilles qu’on trouve sur le marché sont souvent abordables, dans une fourchette de 800 à 25 000 euros.
Le Shah Name dit de Haughton, datant du XVIe siècle, a toutefois défrayé la chronique. Bien que fortement amputé, il fut récupéré en 1994 par le gouvernement iranien en échange d’un tableau de Wilhelm de Kooning issu du musée d’Art contemporain de Téhéran. Qui a fait la bonne affaire dans l’histoire ?

Repères

Iznik Fleuron du raffinement ottoman, la production potière d’Iznik, en Anatolie, connaît un état de grâce dans la seconde moitié du XVIe siècle, sous le règne de Soliman le Magnifique, avant de décliner à la fin du XVIIe siècle. Minaï Appelés parfois haft rang (sept couleurs), les minaï produits par les potiers iraniens affichent des décors de figures. Les pièces subissent une double cuisson, la première pour la glaçure, la seconde pour la fixation des émaux et engobes colorés. Miniature safavide C’est entre 1522 et 1550, sous la dynastie des Safavides, que fut réalisé le plus bel ensemble de miniatures persanes avec le Shah Name dit de Haughton

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°595 du 1 octobre 2007, avec le titre suivant : L’art islamique peine à séduire le marché

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