James Lee Byars

En quête de sublime

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 janvier 2005 - 1026 mots

Première rétrospective en France des œuvres de James Lee Byars. Des formes pures et simples, empreintes de mystère, qui évoquent l’éternel et l’éphémère.

A peine a-t-il franchi le seuil du château d’Oiron, sis aux confins du Poitou et du Val de Loire, que le visiteur tombe nez à nez avec une sculpture quelque peu mystérieuse dont l’aspect immaculé joue de l’incidence des rayons de la lumière. Même s’il y reconnaît une longue corne de licorne dressée sur un haut bloc de marbre blanc faisant office de stèle, il n’est pas sûr qu’il sache exactement ce qui se trouve en face de lui. Information prise, il apprend que c’est une œuvre d’art contemporain, l’une des cinquante pièces mises en place dans ce château Renaissance voilà une douzaine d’années afin de lui redonner sa vocation première : abriter un cabinet de curiosités. D’hier à aujourd’hui, le château d’Oiron s’est ainsi transformé en musée d’Art contemporain et cette Corne de licorne que son auteur a taillée dans une dent de narval n’est autre qu’une œuvre de l’artiste américain James Lee Byars, né en 1932 à Detroit, mort au Caire en 1997. « Animée par une recherche entêtée de l’instant de poésie qui peut saisir le spectateur comme un miracle évanescent » (Jean-Hubert Martin), la démarche de James Lee Byars compte parmi les plus étonnantes de la scène artistique de la seconde moitié du XXe siècle.

Vers la pureté absolue
Apparaissant volontiers, lors de ses vernissages, coiffé d’un chapeau haut-de-forme, vêtu d’un costume noir et or, le visage masqué par un loup noir, James Lee Byars n’a eu de cesse, tout au long de sa vie, de multiplier performances, sculptures, installations et éditions avec un égal souci de perfection et de partage. Psychologue et philosophe de formation, féru de pensée orientale et d’alchimie, il aimait à dire que ses vrais ancêtres étaient « Stein, Einstein, Wittgenstein ». En quête d’un idéal de beauté qui pouvait prendre forme tout aussi bien dans des actions que dans des figures symboliques ou allégoriques, il développa une œuvre dont la clé de voûte se situe dans l’articulation entre éternel et éphémère. Si, dans son travail, le chemin à parcourir lui importait davantage que le but à atteindre, c’est que James Lee Byars n’attachait aucun prix aux choses matérielles, préoccupé qu’il était d’accéder à une forme de pureté absolue.
À ce point même qu’il aurait pu faire sienne la formule de Salvador Dalí : « Ne craignez pas la perfection, vous n’y parviendrez jamais. »

Interroger la figure de l’artiste
Placer une sphère de marbre blanc dans un environnement immaculé de sorte qu’elle y paraisse en lévitation ; inscrire dans le ciel : « La plus belle lettre d’amour c’est d’écrire “Je vous aime” dans un souffle d’air » ; construire une Tour d’or qui dresse dans l’espace ses vingt mètres de hauteur ; rédiger des séries de Byarsbooks, petits ouvrages de questionnement philosophique et sémantique où « La question est la réponse » : ce sont là quelques-uns des actes de l’œuvre de James Lee Byars, toujours impatient d’invention plastique. La pièce, intitulée The Red Angel of Marseille, qu’il a réalisée au Cirva – Centre international de recherches sur le verre et ses applications – en 1993 en est une éclatante illustration. Composée de mille boules de verre plein d’une couleur rouge sombre très difficile à maîtriser sur le plan technique, proche d’un rouge de Venise, cette œuvre se développe au sol en un savant et majestueux jeu d’arabesques pour figurer un immense motif allégorique dont la beauté simple le dispute à toute signification particulière. Entre les jeux de volutes d’un jardin à la française et les circonvolutions d’un système sanguin.
À l’instar de ses pairs qui ont nom Yves Klein ou Joseph Beuys, quelque chose de proprement mystique apparaît dans la démarche de James Lee Byars. Quelque chose d’extrême aussi dans cette façon qu’il a de tutoyer tant la physique que la poésie, les matériaux nobles que les formes élémentaires, et de mêler cultures et religions aux antipodes les unes des autres. Si l’on a pu dire de son œuvre qu’elle se présente comme une « tentative de pensée philosophique qui agirait à
la limite du visuel » (Jérôme Delormas), c’est qu’elle cherche avant tout à interpeller le spectateur en excitant chez lui le sentiment de mystère et de perfection parce que rien ne compte plus à ses yeux que la question de l’attitude de l’artiste. Rien ne l’intéresse plus que de réfléchir à la figure de l’artiste, à la nature de son statut et de sa mission dans le monde d’aujourd’hui. À la nature et à la fonction de l’œuvre aussi. En cela, l’art de James Lee Byars est familier des avant-gardes des années 1960-1970, d’autant que, tour à tour performant, minimal et conceptuel, il en opère comme une synthèse et qu’il adhère ce faisant à l’idée d’œuvre d’art total. Le soin qu’apportait l’artiste à la réalisation de formes géométriques simples, faites de matériaux précieux, et leur présentation dans d’élégantes vitrines ne valent que pour ce qu’elles contribuent à pousser l’analyse de notre regard jusque dans ses retranchements. Parce qu’elles nous apparaissent dans l’avènement inédit d’une présence, celles-ci mettent en échec toute connaissance et nous obligent à l’exercice d’une remise en question. Intitulée « Life, Love and Death », l’exposition rétrospective – la première en France – que lui consacre le musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg rend compte non seulement du charisme d’un créateur hors norme mais d’une pensée éclairée – voire aveuglée – toujours obsédée de pureté. Dessins, sculptures, objets, films, installations, l’art polymorphe de James Lee Byars a ceci de singulier que l’expérience de ses œuvres procède en fait d’une sorte de purification visuelle et sensorielle et que l’on en ressort le corps et l’esprit étrangement neufs. Comme Klein en son temps a pu se proclamer « le peintre de l’espace », Byars aurait pu se dire celui du sublime.

L’exposition. « James Lee Byars – Live, Love and Death » se déroule du 10 décembre au 13 mars, tous les jours sauf le lundi de 11 h à 19 h, le jeudi jusqu’à 22 h, le dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 5 et 2,5 euros. STRASBOURG (67), musée d’Art moderne et contemporain, 1 place Hans Jean Arp, tél. 03 88 23 31 31.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°565 du 1 janvier 2005, avec le titre suivant : James Lee Byars

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