Klimt

Dessins érotiques

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 mars 2005 - 964 mots

Le peintre autrichien Gustav Klimt n’aura eu de cesse de percer le mystère féminin, couchant corps alanguis et examinant postures intrépides par un trait simple et téméraire. Le musée Maillol en présente les dessins.

En 1901, alors que Klimt connaît depuis une dizaine d’années gloire et commandes officielles, une polémique – bientôt relayée par une véritable bataille juridique – éclate, reprochant au peintre son interprétation de La Médecine, l’un des panneaux commandés par l’université de Vienne pour son Aula Magna, présenté lors de la dixième exposition de la Sécession. Quelques-unes des études préparatoires parues dans Ver Sacrum font alors scandale, jugées immorales pour « atteinte à la pudeur ». L’année suivante, le peintre Remigius Geyling (1878-1974) exécute une aquarelle dans laquelle il met en scène un Klimt juché sur des échafaudages, affairé à peindre ces mêmes panneaux. Debout sur une table, une jeune femme nue, cheveux dénoués, tend un verre de vin au maître perché. À sa droite, une seconde jeune fille, nue elle aussi, adossée à une échelle, lui lance un regard docile, tête penchée, cuisses entrouvertes. Ainsi s’est progressivement élaborée l’idée d’une concordance morale entre l’œuvre peint, largement dominé par la figure féminine et la dissolution supposée des mœurs d’atelier de son auteur. Une réputation indue de pornographe (dont Egon Schiele souffrira à son tour) brandie par les tenants de l’académisme pictural et bourgeois, rectifiée depuis bien longtemps, et que le musée Maillol replace à son tour dans son juste cadre. Tout entière consacrée aux dessins, l’exposition se présente comme un espace offert à la volupté des corps croqués par Klimt, à son obsession de la figure érotique, mais encore et surtout à cette pratique obstinée, puissante et secrète du dessin.

Un parcours graphique souverain et intime
C’est que les interprétations de l’œuvre graphique/érotique de Klimt abondent, alternant commentaires techniques, esthétiques, sociaux, psychologiques ou psychanalytiques. Les dessins furent très vite compris comme la manifestation libertine d’un regard masculin sur la femme réduite à un matériau de création, à quelques fragments sexués, à un objet passif destiné à la seule excitation du voyeur/peintre/regardeur, mais aussi comme un hommage appuyé et personnel à la beauté des corps dans l’abandon de l’amour. On y vit encore une pratique autonome, libre et robuste, supérieure en excellence à l’œuvre peint, autant qu’une nécessité technique dans le lent cheminement du peintre, de l’inflexion naturaliste des débuts au symbolisme raffiné des années 1910. On y vit enfin un hymne provocateur à la femme, autorisée au plaisir, dans une société autrichienne en pleine mutation, mais écrasée de contraintes morales. Difficile de se laisser convaincre par une telle lecture politico-sociale, tant la destination de ces dessins (on en a dénombré pas moins de cinq mille) est longtemps restée privée. Une affaire entre Klimt et la figure féminine. Entre Klimt et les principes qui régissent la création et l’inspiration. À l’exception de quelques rares expositions et publications, les croquis n’ont eu d’autre intention que personnelle. Et si la fameuse collection d’œuvres sur papiers Albertine acquiert quelques dessins dès 1902, ce n’est qu’en 1918 (année de la mort de Klimt) qu’est organisée une exposition consacrée à l’art graphique du peintre.

Une féminité sexualisée
La féminité y est alors strictement incarnée par un potentiel érotique aussi accru qu’élémentaire, et n’apparaît qu’au travers une sexualité insolente et sereine par des procédés formels de fragmentation, déformations et amplifications précises des parties sexuelles du corps. Plutôt dévêtues que nues, saisies souvent sur le ventre, jambes ouvertes, les jeunes femmes semblent tout à leur engourdissement voluptueux. À la charnière du siècle, les dessins affichent un trait élémentaire, réduisant les figures à leurs contours par un trait ferme empreint d’une certaine douceur, disposant les corps avec une relative retenue. Dans les années 1910, le trait se fait plus épais, plus nerveux, plus hardi, repasse, hachure, modèle, se libère, précise ici et là un tissu, un bas plissé ou un mouvement osseux, concentrant sans ambiguïté la charge érotique des croquis, toujours soumis aux mêmes lois : une figure féminine – à l’exception de quelques couples enlacés dont le Couple d’amoureux vers la droite, 1914, ill. 2 – tracée au crayon, rarement rehaussée d’une couleur, isolée sur la page, sans autre indices narratifs ou temporels que ceux suggérés par les postures. Presque toujours érotisés, abandonnés à leurs rêveries, les corps expriment leur nudité par quelques vestiges froissés de vêtements, et par l’exhibition crue d’un corps ouvert, d’une fesse affichée, d’un sexe béant ou d’un regard flou. Souvent les visages des jeunes femmes se détournent, enfouis dans les draps, les yeux se ferment, isolant davantage encore le corps claquemuré dans ses propres contours, projetant le peintre – et plus tard le regardeur – dans une posture de voyeur et délivrant une singulière impression d’autonomie à ces corps, laissés à leurs sensations solitaires.

Du dessin à la peinture
Un procédé de distanciation sans doute moins flagrant dans ses peintures, et qui plaide pour une relative autonomie de la pratique du dessin chez Klimt. Bien sûr, beaucoup d’entre eux font office d’exercice préparatoire, et l’exposition témoigne largement des études préalables, notamment à la frise de Beethoven (1901) ou à Léda (1913-1914). Mais la figure féminine dans ses toiles associe une charge décorative grandissante à un terrible réalisme, esquissant un archétype élégant et idéal dont les résonances psychologiques se font bien plus précises que dans les dessins. L’œuvre graphique se comprend alors comme une ardeur parallèle, libérée de toute contrainte par laquelle Klimt esquisse son propre récit du désir, de l’érotisme, de la forme et de la création.

L'exposition

« Klimt, papiers érotiques » se déroule du 9 mars au 2 juin, tous les jours sauf le mardi de 11 h à 18 h. Tarifs : 8 et 6 euros. PARIS, fondation Dina Vierny, musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle, VIIe, tél. 01 42 22 59 58, www.museemaillol.com.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°567 du 1 mars 2005, avec le titre suivant : Klimt

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