François Lunven, anatomie du chaos

L'ŒIL

Le 1 avril 2005 - 483 mots

Artiste fugitif des années 1960, disparu jeune, François Lunven a laissé une œuvre gravée aboutieet des peintures d’une rare violence.

François Lunven (1942-1971) est apparu comme un éclair dans le ciel des années 1960, laissant dans les mémoires le souvenir d’une pensée ardente (« chauffée à blanc » aurait-il dit) et d’une présence exacerbée, rendue rétrospectivement tragique par une fin incompréhensible. En effet, le jeune artiste s’est jeté dans le vide, sans que rien ne laisse présager un tel acte. L’œuvre qu’il laisse, accomplie en l’espace de sept ou huit années, est l’expression fulgurante de cette pensée. C’est une météorite encore brûlante, que sa dangerosité condamne à une certaine solitude. Car cette œuvre semble s’appliquer, méthodiquement, et avec les moyens les plus sophistiqués de l’art, à déchirer le regard. Ces moyens sont ceux d’une figuration illusionniste servie par une virtuosité superlative (c’est-à-dire : qui va droit au but comme une flèche). Qu’il dessine, qu’il grave ou qu’il peigne, Lunven manifeste la même aisance à rendre visible sa pensée, à travers une « écriture » qui atteint très vite la perfection. Son œuvre gravée, en particulier, par l’ampleur de ses explorations formelles et techniques, et par son évidente beauté, est une des principales de son siècle.

Visions d’entropie
La peinture est plus problématique. Ses ressemblances avec une certaine imagerie populaire et « psychédélique » des années 1970, renforcées par des couleurs acides et presque fluorescentes, lui confèrent à première vue un aspect illustratif, qui la date et la dessert, mais aussi bien la rend très actuelle. Du reste, cette apparence est vite dissipée : la sobriété picturale, une finesse et une précision confondantes, le foisonnement imaginatif, l’agressive autorité de l’image, tout concourt à rendre ces œuvres irrécusables. Considérée dans son ensemble, cette peinture apparaît comme la pointe extrême de l’œuvre, l’amplification vertigineuse de la violence faite au regard. À quoi tient donc cette violence ?
Lunven, dès ses débuts, se passionne pour les structures du monde organique, qu’il étudie le crayon à la main, et pour certaines théories scientifiques, notamment le principe d’entropie selon lequel l’univers serait voué à un processus d’éternelle décomposition, un cycle infini de destructions et de naissances de mondes nouveaux. Et son œuvre offre les visions d’un tel processus. Les formes, issues de croisements entre les différents règnes, d’où naissent d’effroyables créatures qui s’entre-dévorent, sont prises dans un irrépressible mouvement de déflagration et de recomposition. La plus fascinante de ces greffes est celle qui croise l’organique et le mécanique, dans ce paroxysme froid qui caractérise les grandes peintures de la fin, conçues dans l’esprit d’un nouvel « art sacré ». Ce sont les vagues déferlantes et terriblement réelles de mondes où l’existence, la nôtre, n’est plus pensable.

« François Lunven », ISSOUDUN (36), musée de l’Hospice Saint-Roch, rue de l’Hospice Saint-Roch, tél. 02 54 21 01 76, 11 mars-30 mai. L’œuvre de Lunven est représentée par la galerie Alain Margaron, 5 rue du Perche, Paris IIIe, tél. 01 42 74 20 52.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°568 du 1 avril 2005, avec le titre suivant : François Lunven, anatomie du chaos

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