L’échiquier de l’art moderne et contemporain

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 juin 2005 - 969 mots

Le marché de l’art moderne et contemporain se partage entre New York, Londres et Paris, un tiercé dans l’ordre.

Paris fut la capitale des arts dans les années 1950, mais New York lui a largement damé le pion. Pour une vente du soir totalisant au mieux 4 millions d’euros en juin 2004 chez Artcurial à Paris, une vente new-yorkaise de Christie’s affichait 102,1 millions de dollars en mai de la même année. Londres joue quant à elle un rôle d’avant-poste américain en Europe.
L’année anglo-saxonne se rythme comme une valse à quatre temps, mai et novembre à New York,
février et décembre à Londres. En France, le calendrier est plus erratique, au gré des collections décrochées, même si Artcurial s’attache à maintenir des temps forts en décembre et en juin, ponctués
de ventes de mi-saison.
La nature des œuvres impressionnistes et modernes diffère selon que l’œuvre est présentée à Paris, Londres ou à New York. À Paris, les enchères millionnaires sont rarissimes, d’autant plus que le droit de suite, appliqué aux artistes vivants et à ceux décédés depuis soixante-dix ans, a tôt fait de convaincre les collectionneurs d’aiguiller leurs tableaux vers l’étranger. La France fait du coup pâle figure à l’échelon mondial, avec 6,7 % de part dans le moderne, et 3,5 % sur le segment contemporain. Les ventes parisiennes se cristallisent autour de la seconde école de Paris, des nouveaux réalistes et de la figuration narrative. Outre le florilège habituel de César, Arman et Jean Dubuffet, Artcurial propose les 28 et 29 juin une collection parisienne de goût très international avec une photographie du Californien Paul McCarthy estimée 25 000-30 000 euros ou une toile de l’artiste allemand Jonathan Meese estimée 15 000-20 000 euros. Un ensemble assez pepsy auquel le marché parisien est rarement habitué.

Prix élévés à New York
New York s’impose en plaque tournante du marché, grâce à un vivier de vendeurs mais aussi d’acheteurs aux portefeuilles garnis et à la boulimie sans limites. « New York est le lieu le plus important du marché en termes de volume de vente et de perception, avec une moyenne de prix par objet plus élevée, observe le spécialiste de Christie’s Thomas Seydoux. Les œuvres présentées sont adaptées spécifiquement au goût des acheteurs américains et asiatiques. Ce sont principalement des grands tableaux, en taille, en prix, et en présence décorative. À Londres, nous ciblons spécifiquement les acheteurs européens et la moyenne de prix est plus accessible. » Une petite gouache de Picasso d’une qualité exceptionnelle sera plus « à l’aise » dans une vente du soir à Londres, alors que diluée dans une vente de jour à New York, au milieu de deux cents tableaux, parce qu’elle ne vaut que 200 000 à 300 000 dollars. En revanche Artcurial n’hésite pas à proposer en soirée le 27 juin un ensemble de vingt dessins de Picasso faits pour Geneviève Laporte, estimés entre 40 000 et 180 000 euros. Le climat un tantinet plus intellectuel qu’outre-Atlantique a poussé les maisons de ventes à lancer des ventes de spécialité autour de l’expressionnisme allemand et du surréalisme, ventes par ailleurs de plus en plus difficiles à monter. De même les maisons de ventes anglo-saxonnes se sont lancées dans les ventes d’œuvres sur papier.

Vente de jour, vente du soir
Côté contemporain, les œuvres d’artistes européens tendent à être aiguillées plutôt dans les ventes londoniennes où elles peuvent mieux tirer leur épingle du jeu que dans les ventes new-yorkaises. « Un Maurizio Cattelan se vend aussi bien à New York qu’à Londres, de même qu’un Jean-
Michel Basquiat ou un Andy Warhol. Le choix se fait souvent en fonction du lieu où on trouve les pièces. Mais Jean Dubuffet se vendra mieux à Londres qu’à New York », observe Florence de Botton, directrice internationale de Christie’s.
Outre la question du lieu de vente, l’aiguillage des œuvres entre les ventes de jour (Part II) et celles du soir (Part I) est éminemment stratégique. Les Parts I, où s’agrège la grosse cavalerie au-dessus de
500 000 dollars, réservent peu de surprises. On retrouve ainsi le 21 juin chez Christie’s à Londres une Paysanne se chauffant de Pissarro, estimée entre 800 000 et 1,2 million de livres sterling ou encore un tableau tout en couleurs primaires de Karl Schmidt-Rottluff pour la somme de 1,2-1,6 million de livres sterling. Même si les salles de ventes du soir sont bondées, la proportion des enchérisseurs in situ est dérisoire car les pièces ne sont destinées qu’à une poignée de collectionneurs que les organisateurs cherchent à convaincre de manière personnalisée. Les jeux sont faits, rien ne va plus, comme au casino ! Le champ d’acheteurs potentiels est plus large que pour une vente du soir réservée à l’élite, du moins financière, des acheteurs.
Une vue d’Étretat de seconde zone de Monet a aussi plus de chances de se défendre dans une vente de jour qu’en côtoyant des Nymphéas dans une vente du soir. Tout dépend aussi de la donne. « Si on est inondé de beaux tableaux, on ne met pas de dessins à 200 000 dollars dans une Part I », explique le spécialiste de Sotheby’s Andrew Strauss.
Mais avec l’évolution du goût et la raréfaction, le jeu est plus subtil qu’autrefois. Des noms comme Louis Anquetin se voient propulsés en Part I. Il n’est pas improbable que certains « petits cubistes » comme Jean Metzinger se taillent un chemin dans les ventes du soir. De même, les Picasso tardifs renvoient aux placards les bouquets de fleurs de Chagall, transférés dans les ventes de jour. Tout est question de mode.

- Vente d’art moderne, 27 juin, Artcurial, tél. 01 42 99 16 16. - Ventes d’art contemporain, 28-29 juin, Artcurial, tél. 01 42 99 16 16. - Ventes d’art impressionniste et moderne, 21-22 juin, Christie’s Londres, tél. 01 40 76 85 85. - Ventes d’art contemporain, 23-24 juin, Christie’s Londres, tél. 01 40 76 85 85. - Ventes d’art impressionniste et moderne, 20-21 juin, Sotheby’s Londres, tél. 01 53 05 53 05. - Ventes d’art contemporain, 22-23 juin, Sotheby’s Londres, tél. 01 53 05 53 05.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°570 du 1 juin 2005, avec le titre suivant : L’échiquier de l’art moderne et contemporain

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