DADA/éloge de la subversion

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 novembre 2005 - 530 mots

Créé en pleine Première Guerre mondiale, le mouvement Dada prend ses racines dans la contestation artistique pour établir une nouvelle esthétique libre de tout modèle. Il essaime très vite aux quatre coins du monde avant d’être récupéré, sinon supplanté, par le surréalisme.

«Je ne veux même pas savoir qu’il y a eu des hommes avant moi. » Cette citation de Descartes que Tristan Tzara (1896-1963) prend le soin de faire figurer en exergue à la publication du Manifeste Dada III qu’il publie en 1918, deux ans après la fondation du groupe, a éminemment valeur de manifeste. La guerre qui ne va pas tarder à s’achever est la cause première de l’existence du groupe. Créé à Zurich en février 1916, au plus fort des combats, par le poète Tristan Tzara (ill. 20) et les artistes Marcel Janco, Hugo Ball et Hans Arp (1887-1966), Dada – dont le nom a été choisi parce que simple et accessible à toutes les langues – est d’abord et avant tout une façon de répliquer aux horreurs de cette guerre. L’idée de table rase et la négativité de principe qui en sous-tendent la dynamique procèdent du rejet de la société coupable à leurs yeux d’une telle situation, et du refus de se soumettre à quelque règle que ce soit. C’est donc sous le signe de l’éclatement et du soulèvement que Dada se range, impatient de désacraliser le monde, celui de l’art en particulier, parce que considéré comme un mesquin objet de marchandage bourgeois.

Désacraliser le monde et l’art
Plus qu’un groupe d’artistes, Dada est un mouvement de l’esprit, un mouvement international qui va très vite rencontrer une adhésion passionnée auprès d’une très nombreuse population d’artistes, toutes disciplines confondues. Écrivains, poètes, plasticiens, musiciens et autres créateurs en tout genre vont y trouver en effet le terrain propice à la remise en question de toutes les conventions établies qui régentaient la création au regard de considérations tant de contenu que de techniques et que les avant-gardes comme le cubisme, le futurisme, l’abstraction ou l’expressionnisme n’avaient pas vraiment réussi à subvertir. Le recours à des formes d’expression nouvelles comme le collage, le photomontage ou la poésie sonore, à des modes d’action comme l’événement, voire le happening ou la performance, à des matériaux et à des objets de récupération non plus nobles mais volontiers ignobles, à des pratiques en appelant au montage, au bricolage ou à l’environnement a fait de Dada l’un des mouvements les plus inventifs du début du xxe siècle. Inventif et prospectif, si l’on mesure son incroyable fortune critique, laquelle demeure encore aujourd’hui très vive. « Le droit de tout oser », jadis revendiqué par Gauguin, trouve avec lui une formulation inédite, vraiment révolutionnaire. Conçu comme une entreprise destinée à substituer un ordre artistique nouveau à l’ancien, Dada essaimera très rapidement au sein de différents foyers en Europe et outre-Atlantique dont les plus importants seront en Allemagne, à Berlin, Cologne et Hanovre, à New York et enfin Paris. Cet éclatement géographique, l’absence d’une véritable structure théorique et le fait qu’il soit porté par de très fortes personnalités à l’individualisme appuyé en dilueront toutefois assez vite l’action groupée d’autant que, dès 1924, il sera supplanté par le surréalisme.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°574 du 1 novembre 2005, avec le titre suivant : DADA/éloge de la subversion

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