Hervé Masson, rigueur et sensualité

L'ŒIL

Le 1 novembre 2005 - 783 mots

Partageant sa vie et sa carrière entre la France et l’île Maurice, Hervé Masson (1919-1990) a produit durant un demi-siècle une peinture aux frontières de la figuration et de l’abstraction.

Lorsque l’on évoque Hervé Masson à l’île Maurice, on se rend vite compte que sa personnalité a marqué les esprits, qu’il appartient à la mémoire collective, pour sa peinture comme pour son investissement dans la vie politique locale. La rétrospective qui lui a été consacrée en juin dernier au Mahatma Gandhi Institute – montée grâce à l’énergie de sa fille Brigitte Masson, de l’historien Bernard
Lehembre et de Barbara Luc, commissaire – était donc un véritable événement pour la reconnaissance de l’artiste mais aussi pour le pays ; il s’agissait de la première exposition de cette ampleur à Maurice. Le catalogue publié, ainsi que la biographie d’Hervé Masson rédigée par Bernard Lehembre, devraient participer à la redécouverte de cet artiste aujourd’hui peu connu en France.
Né à Rose-Hill en 1919, d’une famille originaire de Lorraine établie à l’île Maurice depuis 1753, Hervé Masson est le frère du poète et romancier Loys Masson. Il partagera sa vie et sa carrière entre l’île Maurice et la France, se consacrant tour à tour à ses recherches artistiques et à ses engagements politiques, les seconds prenant définitivement le pas sur les premières à partir de 1970.

Compositions construites et couleurs fortes
À l’âge de dix-neuf ans, Masson commence sa vie d’artiste par le biais de la gravure sur bois, en illustrant des poèmes de son frère et certains écrits de Malcom de Chazal. Il se révèle bon dessinateur, son trait est vif, précis, stylisé. Passionné d’ésotérisme depuis l’enfance, il étudie ensuite la philosophie indienne, fréquente les fumeries d’opium, s’intéresse à la sorcellerie et aux rituels magiques qui se pratiquent alors dans l’île. Il faudra attendre son mariage avec Sibylle (en 1941) pour qu’il s’investisse totalement dans la peinture ; elle deviendra son modèle privilégié, sa muse. En 1942, il travaille dans son atelier mauricien, à Curepipe, et expose pour la première fois. Son style s’affirme dans des compositions très construites, aux couleurs fortes. Il s’installe en France en 1950, à Recloses. Cette période est certainement la plus sombre. Masson connaît d’importantes difficultés financières et sa peinture devient plus dure, les couleurs se font terreuses. Port de Honfleur (1954) ou Autoportrait (1955) sont régis par des lignes noires qui cernent des formes grises et brunes, dans un style qui n’est pas sans évoquer Bernard Buffet. Lorsque l’artiste emménage à Créteil, en 1957, sa palette s’éclaircit, les compositions se simplifient, organisées en plans superposés. Sa peinture gagne en maturité, s’affirme tout en assimilant diverses influences : Picasso et les leçons du cubisme, Nicolas de Staël (certaines œuvres plus tardives comme La Mêlée verte, 1962, y font clairement référence). Il est clair que Masson n’est pas avant-gardiste au regard de l’histoire de l’art internationale – c’est certainement ce qui fait que l’histoire l’ait quelque peu oublié –, mais il est néanmoins considéré, à Maurice, comme le chef de file de la modernité.
Ses œuvres les plus convaincantes datent des années 1960, juste après la signature de son contrat avec le galeriste Michel Dauberville (Bernheim-Jeune). Sans tourner radicalement le dos à la figuration, Hervé Masson flirte avec l’abstraction dans des tableaux qu’il qualifie de « métaformes », et qui lui vaudront une belle reconnaissance. Poétiques, ces œuvres aux harmonies subtiles se révèlent très sensuelles. Nu à la fleur rouge (1966) – une tache de couleur éclaire magnifiquement une composition en camaïeu de bleus et de gris où le corps d’une femme se fond dans un paysage – est emblématique de cette période. Il excelle également dans les natures mortes et les portraits (Sibylle, 1961).

Un engagement politique
Malgré un contrat signé avec le galeriste Alberto Cernuschi qui lui permet d’exposer à New York, il regagne l’île Maurice en juillet 1967 pour soutenir le parti de l’indépendance de Ramgoolam. Il travaillera au ministère de l’Éducation comme conseiller artistique, avant d’occuper le poste de rédacteur en chef du quotidien Le Militant en 1971. Sa peinture se fait moins innovante, l’artiste perd peu à peu la confiance de ses marchands. Il revisite des thèmes qu’il a déjà traités et rend plusieurs hommages à Manet dans des peintures peu intéressantes. C’est aussi dans ces années-là que Masson émet l’idée d’un musée d’Art moderne à Maurice. Celui-ci devrait voir le jour prochainement. La National Art Gallery présentera une collection publique que l’État a commencé à constituer en 2002, ainsi qu’une importante donation de Michel Dauberville d’une dizaine de tableaux d’Hervé Masson.

À lire : Bernard Lehembre, Masson, Hervé, dit Hervé Masson, L’Harmattan, 464 p., 34 euros et Hervé Masson, rétrospective, La Maison des mécènes, 120 p., 29 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°574 du 1 novembre 2005, avec le titre suivant : Hervé Masson, rigueur et sensualité

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