Le Corbusier, Jeanneret, Perriand, "ménage à 3"

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 décembre 2005 - 646 mots

L’aventure de Perriand porte les accents d’une épopée collective, avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret, puis avec Jean Prouvé. Mise au point sur la question épineuse des œuvres de collaboration.

De 1927 à 1937, Perriand collabore avec Le Corbusier et son cousin Pierre Jeanneret. Ces derniers avaient déjà jeté en 1921 les bases d’un certain urbanisme avec le mot d’ordre : « La maison est une machine à habiter. » Pour l’équipement de la maison, Le Corbusier prône un mobilier fonctionnel et standardisé, réduit aux casiers, chaises et tables. Appliquant les principes théorisés par Le Corbusier, Perriand sera responsable de l’étude, de la conception et du suivi du chantier pour l’aménagement des maisons. « Le Corbusier avait repéré chez Perriand la capacité à faire le lien entre le théorique et le projet », précise Marie-Laure Jousset, commissaire de l’exposition du Centre Pompidou.

Perriand, cheville ouvrière
Pour les meubles, Perriand utilise le tube en métal, le verre, le cuir et la peau. Le trio produira notamment en 1928 la fameuse chaise longue. « Si elle est indéniablement la cheville ouvrière de ce mobilier, Le Corbusier, qui a imaginé et fixé le programme avec Jeanneret, en est l’instigateur… Pour éviter toute polémique, Charlotte Perriand n’a jamais voulu préciser publiquement le rôle de chacun, refusant de dissocier les trois auteurs qui étaient, dit-elle, comme les doigts d’une main », écrit Jacques Barsac dans son livre Charlotte Perriand, un art d’habiter. Lorsque le trio passe un contrat avec l’éditeur Thonet, Perriand ajoute dans le trousseau le fauteuil pivotant qu’elle avait créé avant leur collaboration. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si dans le contrat de réédition que Le Corbusier signe en 1959 avec la marchande suisse Heidi Weber, il ne s’attribuait la seule paternité des meubles. Comme le souligne Jacques Barsac, les noms de Perriand et Jeanneret ne sont plus mentionnés comme co-auteurs lorsque Heidi Weber cède les droits en 1964 à la firme Cassina.
Ce n’est qu’en 1987 que Jeanneret et Perriand seront reconnus contractuellement comme co-auteurs. L’« incident » ne semble pas affecter les relations de Perriand avec Le Corbusier. Bien qu’elle quitte son atelier en mars, elle continuera à collaborer avec Jeanneret jusqu’en 1948 et avec Le Corbusier pour les Unités d’habitation de Marseille (1947-1950) et la Maison du Brésil (1959).

Rapprochement avec Prouvé
En 1950, un autre rapprochement se dessine, cette fois avec Jean Prouvé. Charlotte Perriand a besoin de financer ses recherches et de mettre au point des prototypes qui coûtent cher. Les pourparlers de sa collaboration avec les Ateliers Jean Prouvé se concrétisent avec une convention signée en mars 1952 selon laquelle elle doit apporter des dessins de meubles nouveaux en vue d’une fabrication en série. Les programmes réalisés entre 1952 et 1953 permettront de créer de nombreux meubles dont les Ateliers Prouvé construiront les parties métalliques jusqu’en 1955. Elle conçoit en 1952 pour les Ateliers Prouvé deux objets cultes du design, les bibliothèques des Maisons de la Tunisie et du Mexique à la Cité universitaire de Paris. Dans les contrats, elle est désignée comme fournisseur des plans pour les Ateliers Jean Prouvé. Le marchand Steph Simon décide de lancer quelques créations de Perriand, notamment la Bibliothèque Tunisie, commercialisées sous le nom Ateliers Jean Prouvé. Un raccourci qui fera sortir Perriand de ses gonds.
À partir de 1956 et ce jusqu’en 1970, Steph Simon éditera de nouvelles bibliothèques et des rangements. Contrairement à une confusion fréquente, ces meubles ne sont pas fabriqués par les Ateliers Jean Prouvé, mais, comme le rappelle Jacques Barsac, par Metal Meuble pour les parties métalliques, et Negroni ou Chetaille pour le bois.
Quels qu’aient été les différends commerciaux avec Steph Simon, et dans une moindre mesure avec Jean Prouvé, ces derniers ont tout de même permis à Charlotte Perriand de créer sans discontinuer dans les années 1950. D’ailleurs, lorsqu’elle reçoit en 1979 la croix de l’officier du Mérite, elle demandera à Jean Prouvé de la lui remettre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°575 du 1 décembre 2005, avec le titre suivant : Le Corbusier, Jeanneret, Perriand, "ménage à 3"

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