La parure masculine de Louis XIV au hip hop

L'ŒIL

Le 1 janvier 2006 - 998 mots

Plus qu’une histoire de la mode masculine, l’exposition est axée sur la parure. Entretien avec Pamela Golbin, conservatrice des collections duxxe siècle au musée de la Mode et du Textile.

Quel est précisément le propos de cette exposition ?
Jean-Paul Leclercq, conservateur des collections anciennes, et moi-même avions deux projets parallèles. Lui travaillait depuis longtemps sur l’habit à la française et le costume historique, et je voulais absolument faire un point sur la mode masculine depuis l’an 2000. On savait qu’il fallait faire quelque chose autour de ces thèmes.
Nous ne voulions pas retracer l’histoire de la mode masculine, ce n’était pas ce qui nous intéressait et nous n’avions pas les pièces nécessaires pour un tel projet. On s’est donc tourné vers la parure, ce qui touche à l’apparat, à l’ornementation du vêtement.

Pourquoi avoir choisi de mêler pièces anciennes et créations contemporaines ?
Très vite s’est imposée une approche à la fois chronologique et thématique, afin de dégager les tendances les plus importantes depuis le XVIIe siècle. L’idée étant de présenter des pièces historiques pour donner les éléments nécessaires et ensuite troubler cette histoire en rajoutant des silhouettes contemporaines. Pour aller à l’inverse de l’histoire, montrer des ruptures ou au contraire une continuité entre le passé et le présent.

L’exposition montre surtout des costumes du XVIIIe siècle et des créations du xxe siècle. Le XIXe siècle est peu représenté. Pour quelles raisons ?
Parce que justement nous n’avons pas voulu faire une histoire de la mode. Le XIXe siècle ne rentre pas véritablement dans la thématique de la parure masculine, puisque à partir des années  1820-1830, c’est le temps de l’homme en noir, du deuil de l’homme bourgeois qui s’installent. Cet aspect-là ne rentrait pas dans notre optique. Si le XIXe siècle est présent dans l’exposition, c’est par le biais du vêtement d’intérieur, car pour celui-ci il y a une fantaisie et des recherches spécifiques.
Montrer un ensemble conséquent de costumes noirs n’était pas nécessaire dans le cadre de cette exposition. En revanche, nous avons fait une vitrine sur le noir pour montrer les typologies du vêtement.

Qu’est-ce qui fait la spécificité de la parure masculine au XVIIIe siècle ?
Ce qui est particulier au vêtement masculin, notamment au XVIIIe siècle, est la prouesse technique dans le tissage. Souvent, un tissu pour homme coûtait quatre à huit fois plus cher qu’un tissu pour femme. C’est pourquoi on a dédié plusieurs vitrines à cet aspect technique, avec des pièces particulièrement spectaculaires, brodées, rebrodées, taillées, en pièces, mises en carte…

Les costumes semblent dans un parfait état de conservation. Ont-ils été restaurés à l’occasion ?
Les expositions permettent de sortir les vêtements, de les montrer. C’est donc le moment de faire des liftings, de les rendre plus beaux. Des interventions de restauration ont donc été mises en œuvre pour certaines pièces. Mais ce qui est étonnant, c’est de voir à quel point les habits du xviiie siècle résistent au temps, si l’on respecte les règles de conservation, notamment la présentation à faible lumière. Les couleurs et les matières tiennent extrêmement bien. Ce sont des couleurs organiques, des matières premières de très bonne qualité, des cotons et des soies qui n’ont pas subi de grandes détériorations depuis deux ou trois siècles.

À part ceux des collections du musée de la Mode et du Textile, d’où proviennent les vêtements présentés ?
Une grande partie est issue de notre fonds (collection nationale riche de plus de 90 000 créations, dont une majorité du xxe siècle).
S’ajoutent des pièces du Louvre, du musée Galliera, du musée de l’Armée (les armures), du château de Versailles (un tableau de Louis XIV), des costumes venus de Suède ou d’Italie. Les deux paons présentés dans la première salle appartiennent au Muséum d’histoire naturelle.

Ils permettent d’entrer immédiatement au cœur du sujet…
Oui. Avec ces oiseaux, nous avons d’emblée voulu mettre en avant l’idée de la parure. Il ne s’agit pas de réduire l’homme à un animal, mais chez les paons, c’est le mâle qui fait la roue, soit pour intimider, soit pour séduire.
C’est justement dans ces deux circonstances que l’on trouve les vêtements les plus parés, et c’était une jolie façon de démarrer une exposition qui montre « monsieur Paon » à travers trois siècles de mode !

Parmi les incursions contemporaines, il y a une photographie de Maï Lucas montrant des jeunes Afro-Américains, à côté de représentations de Louis XIV. Comment expliquez-vous ce rapprochement ?
Il y a plusieurs choses. Louis XIV est en quelque sorte « le parrain » de cette exposition. Certes, la mode existait avant le Roi Soleil, mais il a créé Versailles, véritable théâtre où les courtisans se montrent et se doivent d’être parés pour un spectacle quotidien. Le roi est un peu le top model que l’on admire. La monarchie crée une hiérarchie très précise, où le vêtement joue un rôle fondamental selon le rang que l’on occupe.
Aujourd’hui, on pourrait dire que le roi, c’est la rue. Cette photo permet de rendre compte de cette évolution. Au XVIIIe siècle, la France est un modèle en matière de mode, notamment avec l’habit à la française. Aujourd’hui, c’est différent. De la rue est sortie cette mode de la musique, du hip hop, des rappeurs, qui ont beaucoup influencé ce que l’on porte. Les vêtements de sport sont pleinement entrés dans la garde-robe quotidienne. Et les jeunes Afro-Américains photographiés par Maï
Lucas sont à demi-vêtus, piercés, tatoués… Et c’est la peau qui devient le vêtement orné.

Autour de l’exposition

Informations pratiques L’exposition « L’Homme paré » présente près de 300 costumes et accessoires accompagnés de documents graphiques depuis le règne de Louis XIV jusqu’à aujourd’hui. Elle se tient jusqu’au 30 avril, du mardi au vendredi de 11 h à 18 h et les samedi et dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 6 € et 4,50 €. Musée de la Mode et du Textile, 107 rue de Rivoli, Paris Ier, tél. 01 44 55 57 50, www.ucad.fr Visites guidéesPour le public individuel: tous les samedis de 15 h 30 à 16 h 30. Un conférencier commente l’exposition pour 2,50€ (2€ pour les étudiants) de plus que le billet d’entrée. Information au 01 44 55 59 26.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°576 du 1 janvier 2006, avec le titre suivant : La parure masculine de Louis XIV au hip hop

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