Brice Marden, des tremplins pour l'esprit

Par Anouchka Roggeman · L'ŒIL

Le 1 février 2006 - 908 mots

L’artiste américain Brice Marden nous reçoit dans son atelier de Manhattan, face à l’Hudson. Dans ce lieu étonnamment épuré, les murs sont recouverts des tableaux colorés de l’artiste.

Vous avez choisi de mettre l’une de vos toiles en parallèle avec La Truite de Courbet. Pourquoi ?
Cette œuvre est pour moi une métaphore de la vie de Courbet. C’est un tableau qu’il a réalisé à la fin de sa vie, alors qu’il était malade, en exil, il réussit à exprimer tout cela à travers ce poisson. La peinture abstraite est pour moi très réelle et la peinture de Courbet n’est peut-être pas si réelle que ça. C’est une figure très dépouillée, les détails réalistes sont rares, il y a presque quelque chose d’abstrait dans ce poisson.

Mettez-vous une partie de votre vie dans vos peintures ?
Bien sûr. Je suis un expressionniste : mes peintures sont des expressions de moi-même. Je suis imprégné par mes peintures, elles m’obsèdent. Je travaille et j’y pense constamment.

N’avez-vous jamais été tenté de faire des peintures réalistes ?
J’utilise beaucoup les figures au départ, mais je ne veux pas que la figure impose un sens à la lecture. Si je peins en pensant à un paysage, je ne veux pas que les gens y voient un beau paysage. La réalité du tableau, c’est la façon dont l’œuvre affecte, touche celui qui le regarde. Il faut d’abord tenter de dialoguer avec une œuvre, sans préjudices.

C’est parfois difficile de comprendre une œuvre abstraite.
Beaucoup de gens disent qu’ils ne comprennent rien à l’art moderne, mais il n’y a rien à comprendre : tout est là, devant vos yeux. Les tableaux sont des tremplins pour l’esprit. Tout le monde peut être inspiré, élevé par l’art, l’art n’est pas seulement pour une élite. L’erreur de beaucoup de gens face à un tableau c’est qu’ils essaient de le comprendre, alors qu’il s’agit d’abord de se comprendre soi face au tableau.

Vous avez peint des monochromes dans les années 1970, comment en êtes-vous arrivé à votre style actuel ?
J’ai eu envie d’introduire plus de dessins dans ma peinture. Je me suis laissé inspirer par la
culture chinoise, d’abord en faisant des tableaux inspirés de calligraphies, puis j’ai évolué vers des formes plus sinueuses. Et puis il y a eu cette découverte des rochers chinois…

D’où vient votre fascination pour les rochers chinois...
Pour les Chinois, les rochers représentent le paysage, les énergies de l’extérieur. On trouve souvent des rochers à l’intérieur des maisons chinoises ou dans leurs jardins. Je suis très influencé par la nature, mais je ne prends de la nature que son énergie, je n’essaie pas de la reproduire. Si je veux peindre l’eau, je vais penser à ses reflets, à sa fluidité, à son énergie, à sa température, non pas à son apparence.

Comment commencez-vous une peinture ?
Je peins directement sur la toile. Je laisse mon pinceau se promener au gré des ondulations. Les formes et les couleurs interagissent différemment les unes avec les autres, créant à chaque fois plus ou moins de mouvement, de mise en abyme, de rythme.
Tout est toujours en évolution. Il y a un mouvement respiratoire dans mes toiles, certains ont même cru y voir des poumons, des alvéoles.
Je vois mes tableaux comme des œuvres taoïstes, entre le yin et le yang : la figure est soit expansive, comme si de l’air passait entre ces lignes, soit resserrée sur elle-même.

Vous faites également des dessins à l’encre de Chine en utilisant de longues branches trempées dans l’encre, quel est l’intérêt de cette technique ?
L’image est une réflexion de la façon dont le corps évolue. Avec une longue branche, il y a un flux différent, l’énergie passe dans la branche.
Dans la peinture, je travaille avec le scalpel, avec des mouvements de va-et-vient, je m’éloigne, puis je me rapproche, mes mouvements sont comme des échos, comme des vagues. C’est comme ça aussi que j’aime regarder les peintures, en fonction de la taille du tableau, on doit être plus ou moins loin.

Quelles sont vos influences actuelles ?
Je me tourne de plus en plus souvent vers les artistes traditionnels chinois, comme Ni Tsan ou encore Tao Chi, l’un des derniers peintres traditionnels. Ils m’influencent spirituellement et artistiquement. Ces artistes n’étaient pas que des artistes, ils étaient aussi des poètes, des hommes politiques, des moines zen, des ermites, ce qui se reflète dans leur travail.

Le MoMA de New York vous consacre une importante rétrospective en 2006, quel effet cela vous fait-il ?
Je suis très honoré car c’est un endroit mythique pour moi. Autrefois je séchais les cours pour m’y rendre et c’est là que j’ai eu ma première révélation artistique, devant une œuvre de Brancusi. En même temps c’est une période de doute énorme dans ma vie. Exposer au MoMA, c’est finalement accepter de produire les produits d’un système, c’est refuser d’être un outsider comme je l’ai souvent revendiqué. C’est une prise de conscience supplémentaire : je fais partie de l’establishment et je ne suis peut-être pas aussi libre que je le pensais...

Biographie

1938 Naissance à Bronxville, New York. 1963 Master of Fine Arts à l’université de Yale. 1964 Premières peintures monochromatiques et première exposition personnelle à la Wilcox Gallery en Pennsylvanie. 1966 Assistant principal de Robert Rauschenberg. 1975 Rétrospective au Guggenheim de New York. 1991 Exposition de la série Cold Mountain. Influencé par la calligraphie extrême-orientale, il entre dans l’« abstraction gestuelle ». 2005 Il vit et travaille entre New York et l’île grecque d’Hydra. Il jouit d’une reconnaissance internationale.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Correspondances » a lieu au sein des collections permanentes du musée d’Orsay jusqu’au 30 avril, les mardi, mercredi, vendredi et samedi de 10 h à 18 h, le jeudi jusqu’à 21 h 45, et le dimanche de 9 h à 18 h. Tarifs : 7, 50 et 5, 50 €. Musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’Honneur, Paris VIIe, tél. 01 40 49 48 78. www.musee-orsay.fr Contrepoint 2 Le Louvre propose lui aussi un dialogue entre arts ancien et contemporain pour la deuxième fois, mais cette fois six artistes ont été invités à faire produire des œuvres spécifiques par la manufacture de Sèvres, des œuvres qui seront exposées dans lesdu département des Objets d’art. « Contrepoint 2 – De l’objet d’art à la sculpture – Porcelaines contemporaines » jusqu’au 20 février, musée du Louvre, Ier, tél. 01 40 20 53 17.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°577 du 1 février 2006, avec le titre suivant : Brice Marden, des tremplins pour l'esprit

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