Art moderne

Fasciné par sa femme, Marthe Bonnard, ne cesse de la peindre nue

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 février 2006 - 581 mots

À 26 ans, Pierre Bonnard rencontre Marthe. Elle devient son modèle favori et les célèbres peintures de nu qu’il en brosse pendant plus de 50 ans sont de purs chefs-d’œuvre.

En 1893, sur la butte Montmartre, le jeune peintre débutant croise une jeune femme d’une grande beauté. Il en tombe aussitôt amoureux. Persuadé qu’il n’a pas à chercher plus loin l’inspiration et qu’elle sera sa muse en chair et en os, il la suit puis l’aborde. Elle lui dit s’appeler Marthe de Méligny mais sa véritable identité est Maria Boursin. Elle lui dit qu’elle a 16 ans mais elle en compte en vérité 24. Bonnard en a 26. Plutôt effacé de nature, il porte binocle et barbichette. Qu’importe, la belle se laisse compter fleurette et une grande histoire d’amour commence. Une grande et radieuse histoire de modèle et de peinture, surtout.
À l’exception d’un seul, Bonnard n’avait jamais peint de nu avant de la rencontrer. Dès lors, il en multiplia les images. Marthe ne pose pas, Bonnard la peint et la dessine de mémoire. Il n’a de cesse de l’observer, de lui voler à la dérobée un geste, un mouvement, une attitude. Sa présence au quotidien suffit au peintre pour en décliner toute une avalanche d’images.
À l’inventaire de son œuvre, on dénombre pas moins de 146 tableaux et quelque 717 dessins dont  Marthe est modèle ! Un festival d’images inventives et lumineuses.

Scènes de bain
S’il y a tout d’abord l’étonnante série des Nus aux bas noirs (1893-1900) dont la simplicité et la vivacité de trait rappellent  Toulouse-Lautrec, à partir de 1900, Bonnard s’engage dans une production quasi ininterrompue de figures nues et de scènes de bain qui vont faire son succès. Le Cabinet de toilette au canapé rose (1908) de Marthe devient l’un des thèmes privilégiés du peintre.
C’est l’occasion de cadrages et de jeux de reflets innovants – La Cheminée (1916, collection particulière), La Toilette ou Nu au miroir (1931, Ca’ Pesaro de Venise) –, de compositions qui jouent de fragmentations – Baignoire ou Le Bain (1925, Tate Gallery de Londres) – et de symphonies colorées poussées à l’extrême.
Est-ce le thème du nu ou le personnage de Marthe qui le fascinait tant ? Bien difficile de le dire. Ce qui est sûr, c’est que Bonnard était proprement obsédé par sa femme. Comme si elle était le prétexte essentiel à sa peinture. N’avait-il pas même transformé la salle de bain en atelier ? La série des Nus dans la baignoire qui accompagnent sa production des dix dernières années est bien plus un hymne à la peinture elle-même qu’à l’être aimé. Alors même que Marthe avance en âge, la figure féminine supposée la représenter prend des airs d’une Ophélie nubile et gracieuse ! Elle n’est plus qu’un corps étendu et diapré qu’éclaboussent l’eau et la lumière et qui s’intègre au jeu de superposition des bandes colorées à motifs géométriques.

Vibrations de couleurs
Peint en 1936, le Nu dans le bain (Nu dans la baignoire) qui appartient aux collections du MAMVP illustre de manière éclatante l’orientation nouvelle du thème. Les jaunes et les bleus s’aveuglent réciproquement dans la vibration de leurs complémentaires, alors que le violet et le rose du corps  se mêlent.
Tout y est orchestré pour noyer le regard dans la couleur. Comme il en est dans La Grande Baignoire ou Nu de 1937-1939 (collection particulière) et dans le Nu dans le bain au petit chien de 1941-1946 (Carnegie Museum of Art, Pittsburgh). À chaque fois, la peinture l’emporte sur le réel.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°577 du 1 février 2006, avec le titre suivant : Fasciné par sa femme Marthe Bonnard ne cesse de la peindre nue

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