Edvard Munch

L’angoisse douloureuse et créative

Par Anouchka Roggeman · L'ŒIL

Le 1 mars 2006 - 797 mots

Dévastatrices et traumatisantes, les tragédies de la vie de Munch ont nourri son art. « Sans la peur et sans la maladie, ma vie serait comme un bateau sans rames », écrivit l’artiste.

Élevé dans un environnement morbide, souffrant de tuberculose et de graves dépressions nerveuses, Munch eut dès l’enfance une vie particulièrement angoissante. Au gré des crises et des drames, des dépressions et des maladies, l’artiste pousse toujours plus loin l’expressivité de sa peinture. Grâce à ce terreau négatif et déstabilisant, il crée un langage toujours plus violent et innovant pour crier son mal-être existentiel.

Premier traumatisme
Huit ans après la mort de sa sœur tuberculeuse, Munch peint L’Enfant malade (1885) où, pour la première fois, il évoque cet événement extrêmement douloureux de sa vie. Si le sujet est conventionnel pour l’époque naturaliste, l’artiste le traite de façon très subjective : l’essentiel n’est pas dans le détail, mais dans l’expressivité de l’œuvre.
Allongée sur son lit, la jeune fille est peinte de profil, son regard est mélancolique. Prostrée sur le lit, cachant son visage, la mère semble disparaître dans l’ombre noire et angoissante. Les couches de peintures sont griffées, les traces de l’exécution sont visibles, trahissant la véhémence du peintre au moment de la réalisation.
Ayant assisté sa sœur pendant sa longue agonie et lors de sa mort (elle n’a alors que 15 ans, une année de plus que lui), Munch communique avec force toute la douleur associée à ce souvenir. Il parvient aussi à recréer l’atmosphère putréfiée de la chambre en représentant un espace clos et confiné, une scène étouffante où même l’air semble alourdi par un voile trouble et jaunâtre. Très innovante à l’époque, cette œuvre que l’on critiqua pour son aspect inachevé provoqua une réaction hostile du public.

Le Cri, le symbole d’une vie
En 1892, Munch expose une partie de la Frise de la vie à Berlin et provoque un véritable scandale. Une année plus tard, il peint Le Cri, un tableau dans lequel il utilise un langage cru, primitif, presque enfantin. Pour accentuer l’immédiateté de la scène et l’effet de choc, Munch place son personnage au premier plan. L’homme (le peintre) est représenté avec un crâne verdâtre, la bouche ouverte, tenant ses mains sur ses oreilles. Autour de lui, une mer agitée semble répercuter les échos de son cri et l’emporter dans sa houle. Au-dessus, un ciel couleur sang étouffe l’atmosphère. Hystérique, le personnage est aspiré par le fond du tableau, le long d’un pont qui traverse la toile.
Rarement dans l’histoire de la peinture un artiste n’aura décrit de façon aussi réelle et troublante son angoisse et sa peur. Dans son journal, Munch expliquera la scène en ces termes : « Je marchais avec deux amis – le soleil allait se coucher – le ciel devint rouge sang – je m’arrêtai, épuisé, et m’appuyai contre une barrière – le fjord d’un noir bleuté et la ville étaient inondés de sang et ravagés par des langues de feu – mes amis poursuivirent leur chemin, tandis que je tremblais encore d’angoisse – et je sentis un cri interminable parcourir la nature. »

La douleur amoureuse
Sa rupture dramatique avec sa fiancée Tulla donna lieu à une nouvelle série de tableaux torturés, exprimant de façon encore plus intense son désespoir et son amertume. Hanté par cette scène au cours de laquelle il se tira accidentellement une balle dans la main et perdit un doigt, il réalisera une série de tableaux particulièrement négatifs, dont La Mort de Marat (1907).
Le sujet est explicite : une femme nue se tient debout, à côté d’un homme alité et sanguinolent qu’elle a probablement tué. Une année avant son internement dans une maison de repos, au paroxysme de la tension, en proie à des crises hallucinatoires, Munch va non seulement réaliser là l’un des chefs-d’œuvre de cette période, mais aussi mettre au point une nouvelle technique (des coups de pinceaux linéaires horizontaux et verticaux) pour exprimer avec encore plus de force les tensions intérieures qui le détruisent.
D’abord condamnée pour son aspect inachevé, l’œuvre de Munch suscita ensuite l’engouement de la critique qui comprit, quelques années plus tard, combien les peintures de Munch savaient dire ce que les mots eux-mêmes ne parvenaient pas toujours à exprimer. « L’art est achevé quand l’artiste a vraiment dit tout ce qu’il avait à dire », disait Christian Krogh, le premier maître du peintre.

Autour de l’exposition

Informations pratiques L’exposition « Edvard Munch, the modern life of the soul » se tient au Museum of Modern Art de New York du 19 février au 8 mai. Ouvert tous les jours de 10 h 30 à 17 h 30, sauf le mardi, nocturne vendredi jusqu’à 20 h 30. Tarifs : 20, 16 et 12 $, soit 16, 13 et 9 €. MoMA, 11 West 53 Street, New York, tél. (212) 708 9400, www.moma.org

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°578 du 1 mars 2006, avec le titre suivant : L’angoisse douloureuse et créative

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