La Crucifixion du Parlement de Toulouse

Par Marie Maertens · L'ŒIL

Le 1 mars 2006 - 1070 mots

Le musée des Augustins met en lumière la restauration d’une crucifixion du xve siècle, à la composition originale baignée de références cosmopolites.

On ignore tout de l’artiste et des circonstances de la commande de cette œuvre qui figure un Christ en croix avec donateurs. Seul l’emplacement prévu à l’origine pour ce panneau est connu avec certitude : il était accroché au-dessus du siège du président de la Grande Chambre du Parlement de Toulouse. À la fin du Moyen Âge, il était en effet d’usage de placer des crucifix dans les chambres de justice du royaume, afin d’offrir un support de méditation lors des serments solennels.
L’étude stylistique et scientifique du tableau permet de supposer que le peintre anonyme était d’origine espagnole et connaissait bien l’art de l’Avignonnais Enguerrand Quarton. Mais on peut également identifier une influence flamande, par l’intermédiaire de l’artiste André d’Ypres, auteur du Retable du Parlement de Paris, aujourd’hui au musée du Louvre.

Une ferveur religieuse et pittoresque
Deux registres se répondent dans ce tableau ; le lieu du sacrifice et, au second plan, le chemin de croix. Si la juxtaposition de plusieurs épisodes bibliques, qui permet d’instaurer une dimension temporelle, est un classique, l’originalité du retable est de les présenter sous deux styles différents. Au premier plan, le corps du Christ s’avère d’une extrême pâleur, son visage est déformé par la souffrance et la mort. L’affliction de la Vierge et de saint Jean révèle aussi une émotion profonde.
Le second plan offre un caractère profane et vivant, où de multiples détails sont croqués. L’animation de la scène et l’attitude joyeusement nonchalante de certains personnages évoquent le pittoresque de la peinture de genre flamande. Cette diversité des attitudes et des tenues vestimentaires bariolées contraste avec la représentation plus classique des saints et du Christ.

D’importants travaux de restauration
Le retable a nécessité une lourde restauration car il fut vandalisé pendant la Révolution : le visage du souverain fut défiguré et les autres symboles royaux, comme le manteau, les armoiries et les blasons, lacérés. Si l’œuvre échappe au bûcher patriotique du 10 août 1793, elle est retrouvée en 1853, dégradée par l’humidité. Elle subit ensuite différentes interventions laborieuses qui alourdissent la couche picturale. Les fonds d’or avaient quasiment disparu et de nombreux repeints avaient entraîné une perte de lisibilité.
Ayant recouvré aujourd’hui une certaine splendeur, ce rare tableau de chevalet d’époque est représentatif d’un foyer artistique cosmopolite, qui s’avéra essentiel à l’avènement de la Renaissance en Languedoc.

Le Christ 
En grande souffrance
La composition de grande simplicité suit la représentation traditionnelle de la Crucifixion en présence de la Vierge et de saint Jean en prière. Aux extrémités de la croix sont insérés les symboles des quatre évangélistes : le taureau de saint Luc, l’ange de saint Matthieu, le lion de saint Marc et l’aigle de saint Jean. Cette partie permet d’identifier deux influences majeures dans le tableau : la Provence et l’Espagne.
L’école provençale se décèle à travers l’intense luminosité qui simplifie les volumes monumentaux au premier plan, et renforce le caractère aride de la végétation, à l’arrière-plan. D’autre part, la forte saillie du thorax et le creusement de la taille du Christ sont des caractéristiques physiques que l’on retrouve chez l’Avignonnais Enguerrand Quarton.
Quant à l’expression particulièrement douloureuse du Christ, dont on voit les dents, et la tenue austère de la Vierge, dont le visage est presque entièrement caché par une coiffe rigide, ils évoquent l’esprit espagnol.

Deux cavaliers   
Mouvement contre hiératisme
Le cavalier placé au centre du panneau et tourné en direction du cortège conduit ingénieusement le regard vers le lointain. La progression vers le fond du tableau se trouve renforcée par des traits noirs présents sous les jambes des chevaux, qui en accentuent l’effet de mouvement, tout comme la queue agitée du cheval blanc.
À l’inverse, le Christ, le sujet principal, à l’exception du pagne flottant, se caractérise par le hiératisme rigide des priants unis dans une gestuelle commune. Cette impassibilité permet de focaliser l’attention sur l’équilibre de la scène afin d’en accroître le caractère dramatique et le recueillement recherché chez le spectateur.
D’autre part, des études infrarouges ont montré que la jambe et la hanche du Christ avaient été quelque peu modifiées ultérieurement par le peintre, ce qui explique que le cavalier qui lui est accolé soit légèrement masqué.

L’un des donateurs
Prestigieux mais non identifié
Au pied de la croix, sont représentés les donateurs royaux, dont on peut identifier ici le dauphin de France, d’aspect juvénile, revêtu de son armure et portant l’épée de côté. Plus petit que les personnages saints, il est figuré en priant agenouillé, devant un prie-Dieu couvert d’une draperie à ses armes, comme l’est son père en face de lui.
Ces armoiries sont répétées sur des blasons, de part et d’autre du panneau. On reconnaît l’écu du jeune homme « avec écartelé de France et d’or au dauphin d’azur » (tandis que le roi est évoqué par l’écu de France orné de trois fleurs de lys couronnées de fleurons). Ce personnage pourrait être soit Louis XI, fils de Charles VII, soit Charles VIII, fils de Louis XI.
En effet, on ne sait pas si le panneau a été réalisé en 1444, à l’occasion de l’inauguration du Parlement des États du Languedoc à Toulouse, auquel cas Charles VII en serait le commanditaire. Mais il est plus probable que la date soit postérieure à 1461, dans ce cas le dauphin qui est représenté au pied du Christ serait alors Charles VIII.

La Jérusalem céleste
Vision de la cité idéale
À l’arrière-plan, un groupe de soldats et de cavaliers évolue sur un fond de paysage aride, devant une ville fortifiée, minutieusement rendue, qui représente la Jérusalem céleste. Deux étapes de la Passion sont figurées simultanément puisque l’on voit sortir d’une porte de la ville le cortège de soldats qui a mené le Christ, ainsi que les deux larrons enchaînés qui se dirigent vers le calvaire.
L’étroit chemin sinueux vise à accroître la profondeur du tableau dont la ligne d’horizon a été placée en hauteur. Ainsi, après une vision d’ensemble, l’œil est guidé d’avant en arrière par l’articulation dynamique du cortège.

Autour de l’exposition

Informations pratiques L’exposition « Polychromies secrètes » présente deux œuvres tout juste restaurées et se tient jusqu’au 30 avril, tous les jours sauf le mardi de 10 h à 18 h, le mercredi jusqu’à 21 h. Tarifs : 3 et 1,50 €. Musée des Augustins, 21 rue de Metz, Toulouse (31), tél. 05 61 22 21 82, www.polychromies.augustins.org. Excellent site, clair et érudit.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°578 du 1 mars 2006, avec le titre suivant : La Crucifixion du Parlement de Toulouse

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque