C’est l’histoire d’une poupée née en 1933, « ma fille artificielle »...

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 mars 2006 - 351 mots

La poupée docile, brisée, disséquée, étalée, démembrée, remembrée, aux combinaisons infinies et aux organes instables est bien au centre des images de Bellmer. De toutes ses images. Il la manipule, la dessine, la fragmente, la photographie, la répète, et précise même les zones de désir par des touches de peinture repassées sur les tirages.
Si nombre de contemporains de Bellmer choisissent au même moment le mannequin, le robot ou autres fétiches anthropomorphes comme effigie critique de l’homme moderne, la poupée engage Bellmer vers une irréalité, une possible rêverie érotique, aussi personnelle qu’amorale. Elle s’engage dans le même temps sur un terrain rigoureux d’expérimentation anatomique, soumis à la froideur perverse d’un désir mental.
La première poupée, imaginée en 1933, aurait surgi, dit-on, après que Bellmer a assisté à la représentation de L’Homme du sable d’Hoffmann mise en scène par Max Reinhardt. La pièce raconte la passion interdite du héros pour la poupée Olympia, que se disputent ses concepteurs, le savant Spalanzani et l’opticien Coppélius. La poupée finit démembrée et le malheureux héros, délaissant sa fiancée, met fin à ses jours.

Stimulation érotique
La seconde poupée, réalisée en 1935 par Bellmer, alors qu’il est désormais en contact avec les surréalistes, articule autour d’une sphère placée en guise de ventre deux paires de jambes et un torse. Le manège des rotations, glissements et additions de membres a véritablement commencé. L’outil de stimulation érotique est entériné.
La photographie s’impose immédiatement pour documenter les manipulations de la poupée : debout, assise, dans la chambre, en extérieur, vulnérable, vicieuse, obéissante…, Bellmer en choisit les positions. Mais les séances de pose restent sporadiques. Trois ou quatre en l’espace de 40 ans. C’est au dessin qu’il revient de faire circuler la « fièvre du désir insatisfait ».
La poupée tend finalement vers un corps impossible, se plie aux fantasmes les plus secrets et les plus enfouis, avec une précision et une distance tout algébrique, plongeant les scènes dans une confusion et une cruauté extrêmes. « On n’aura pas l’ambition d’énumérer les innombrables possibilités intégrantes et désintégrantes selon lesquelles le désir façonne l’image de la désirée », écrit Bellmer dans Anatomie de l’image.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°578 du 1 mars 2006, avec le titre suivant : C’est l’histoire d’une poupée née en 1933, « ma fille artificielle »...

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