Gilles Drouault, « Nous souhaitons rendre l’œuvre d’art accessible »

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 avril 2006 - 946 mots

Fin 2002, Gilles Drouault ouvre à Paris, avec Mathieu Mercier, la galerie de Multiples. À travers ses choix, ce graphiste militant livre quelques clés de lecture permettant de comprendre son marché.

À partir de combien d’exemplaires une œuvre d’art est-elle multiple ?
Gilles Drouault : La définition la plus courante nous vient du XIXe siècle : jusqu’à huit exemplaires plus quatre épreuves d’artiste, c’est une pièce unique. Au-delà, c’est un multiple.
En réalité, c’est une définition qui distingue l’original de la copie, et non l’œuvre unique de l’œuvre d’art multiple. La seule qui corresponde à la réalité serait finalement de dire qu’un multiple est une œuvre numérotée et signée, qui existe en plusieurs exemplaires, revendiquée par l’artiste comme étant une œuvre d’art. Qu’il y en ait cinquante ou deux, ce sont des multiples.

Quel que soit le médium utilisé ?
Il n’y a pas de lien entre la technique utilisée et la définition du multiple. On relie souvent le multiple à la sérigraphie, à la photographie, à la lithographie, au son, à la vidéo, à toute œuvre qui fait appel à des techniques de reproductibilité. Mais ça n’est pas forcément le cas.
À la galerie, nous avons, par exemple, un Étienne Bossut en résine ou un Jacques Julien en bois, métal et fleurs ou encore une peinture murale de Stéphane Calais. C’est pareil avec Mike Kelley, Monica Bonvicini ou Matthew McCaslin dont les multiples sont des œuvres d’atelier qui n’utilisent pas de techniques de reproductibilité.

Pourquoi avez-vous choisi de consacrer une galerie au multiple ?
Notre ambition était de rendre l’art accessible par ce mode de production spécifique, en s’adressant à ceux qui s’intéressent et connaissent l’art contemporain, et qui souhaitent acquérir des œuvres sans disposer de moyens énormes. L’idée n’était pas de faire de l’art à prix réduit, mais de montrer l’art de son temps rendu accessible par des moyens de production spécifiques.

Souhaitiez-vous également susciter de nouvelles vocations de collectionneur ?
Oui, en effet. Et pour une raison très simple : même si c’est en train de changer, l’instance principale de production de l’art reste la collection, qu’elle soit privée ou publique. Plus il y a de gens qui collectionnent et plus cela augmente effectivement le nombre d’acteurs de la production de l’art.
Dans ce sens, nous pourrions dire que, avec la galerie de Multiples, nous participons à une forme de démocratisation de l’art, même si, au fond, je préfère parler d’accessibilité à l’art. Ça ne me dérange pas que ce soit à un petit niveau.

Existe-t-il un profil type du collectionneur de multiples ?
Il n’y a pas de profil spécifique. Les premiers qui ont acheté à la galerie de Multiples, ce sont les artistes !
Ont suivi les jeunes qui connaissent bien l’art contemporain, et de plus en plus de collectionneurs de pièces uniques qui s’intéressent aux multiples historiques, devenus très rares comme ceux de Walter de Maria, de Robert Morris ou General Idea.

Finalement, ne défendez-vous pas davantage le multiple que les artistes ?
En quelque sorte oui. La spécificité de la galerie fait que nous n’avons pas une liste fermée d’artistes à défendre. Une galerie traditionnelle va travailler à long terme avec dix ou quinze artistes et son rôle est d’adopter des stratégies de promotion de ces derniers.
Pour nous, à partir du moment où nous avons décidé de présenter des multiples, nous pouvons a priori travailler avec tous les artistes. Tout notre travail de sélection, de production, de diffusion et d’exposition est pensé en fonction des œuvres, et non des artistes.

En règle générale, une galerie ne choisit-elle pas d’abord ses artistes ?
Je ne suis pas sûr de ce qui se passe actuellement. Mais, j’ai l’impression que plus ça va, moins les œuvres sont placées au centre de la démarche de nos institutions.
On pousse les artistes à devenir des intermittents du spectacle. On leur demande de faire des œuvres qui vont exister le temps d’une exposition, puis de passer à un autre spectacle. Ils finiront par être rémunérés sous forme d'honoraires plutôt que par l’achat d’œuvres. Paradoxalement, pas mal de galeries semblent prêtes à jouer ce jeu.
Nous, nous avions envie, à notre échelle, de poser les choses autrement, et de replacer les œuvres au centre d’une pratique.

Du côté des artistes, quels pourraient être les enjeux du multiple ?
Ce que j’explique là, les artistes, eux, l’ont compris très vite. Et la présence de Mathieu Mercier a sûrement beaucoup aidé à le faire comprendre.
Montrer de l’art un peu autrement, cela voulait dire s’intéresser à des questions très simples qui les concernent, ce qu’implique le fait d’acheter, de collectionner et de vivre avec des œuvres d'art.

Le marché de l’art fait-il du multiple une sous-catégorie d’œuvre ?
En termes strictement marchands, c’est-à-dire l’œuvre d’art vue comme marchandise, c’est certain. Ce n’est pas vrai en termes esthétiques.
Aucun artiste ne se dit : « Je fais des multiples qui vont être des sous-œuvres et je cible une classe sociale ». Ses questions sont d’un autre ordre. Qu’exprime une œuvre quand elle existe en plusieurs exemplaires ? Fait-on la même chose ou réalise-t-on une création différente ? Ce qui nous intéresse de plus en plus, ce sont justement les artistes qui utilisent le multiple en tant qu’il participe à la définition même de l’œuvre. Lorsque l’œuvre n’a de sens que parce qu’elle est un multiple.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Art multiple » se tient jusqu’au 11 juin 2006 à l’Espace art concret, sur le domaine du château de Mouans-Sartoux. Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 11 h à 18 h. Plein tarif 3 €, tarif réduit 1,50 €. Espace art concret, château de Mouans-Sartoux, 06370. Tél. : 04 93 75 71 50. http://art.concret.free.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°579 du 1 avril 2006, avec le titre suivant : Gilles Drouault, « Nous souhaitons rendre l’œuvre d’art accessible »

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