7 clefs pour comprendre le design actuel

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 28 août 2007 - 1387 mots

Le quarante-sixième Salon international du meuble de Milan, rendez-vous du design le plus grand et le plus couru au monde, s’est déroulé du 18 au 23 avril derniers. Compte-rendu en sept clefs.

 À Milan, place à la scénographie !
Le Salon du meuble de Milan 2007 a fait la part belle aux scénographies. Hormis le Crystal Palace du cristallier autrichien Swarovski qui, cette année, était plutôt décevant, trois présentations majeures ont marqué les esprits. À commencer par la mise en scène du designer néerlandais Marcel Wanders autour de sa propre production, pompeusement baptisée « Renaissance contemporaine de l’humanisme », mais redoutablement efficace. Celui-ci a fait dans la démesure, squattant un ancien atelier industriel qu’il a entièrement truffé de cloches et de matriochkas géantes en polyester, suspendues en l’air comme en lévitation.
Sur ce registre du « hors d’échelle », le tandem Studio Job a imaginé pour le fabricant de mosaïques Bisazza une série d’objets du quotidien surdimensionnés et tout habillés d’argent. L’énergique éditeur transalpin Moroso, lui, a demandé à la coqueluche des designers japonais, Tokujin Yoshioka, de décorer son showroom de la via Pontaccio. Résultat : une scénographie des plus féeriques réalisée avec un matériau plutôt anodin : une paille en plastique pour se désaltérer. Magique ! 

Un mobilier ludique et plein d’humour
On ne sait s’il s’agit là d’une métaphore du retour à l’enfance, mais tout semble l’indiquer. Une série de meubles drôles et colorés a envahi le Salon, histoire sans doute de bousculer l’excès de rigueur encore perceptible chez certains éditeurs. Ces pièces sont signées par la nouvelle vague des designers des Pays-Bas, à croire qu’il n’y a que les Bataves à user du gaz hilarant.
Bertjan Pot, pour le porcelainier néerlandais Cor Unum, a dessiné un centre de table constitué d’une « pyramide » hétéroclite d’animaux pour le moins loufouque, The Gathering. Maarten Baas, lui, produit sous sa propre marque la série Sculpt, un mobilier de guingois – une chaise, un fauteuil, une commode et une armoire – tout droit issu d’un dessin animé pour enfants.
Ineke Hans, quant à elle, a séduit l’éditeur italien Cappellini avec une collection assurément singulière, la série Fracture : un fauteuil, deux tabourets et un portemanteau. Ceux-ci sont en fait réalisés à partir de blocs de polystyrène joints par un bandage : celui-là même qu’on utilise en milieu médical… pour réduire les fractures osseuses. Bref, de l’humour à haute dose ! 

Ces durs à cuir du design
Il existe évidemment une multitude de manières d’aborder le cuir. Une façon délicate, telle celle de l’architecte français Jean Nouvel qui perfore le cuir de son canapé Skin (Molteni) de minces incisions géométriques. Et une façon plus brute, pour ne pas dire brutale, comme celle des frères Fernando et Humberto Campana avec leur fauteuil Leatherworks (Edra).
Les deux designers vedettes brésiliens ont eu pour mission d’œuvrer sur « les sensations liées au plaisir de toucher, d’effleurer, de caresser ». Pourquoi ? Parce que, toujours selon Edra, lesdites sensations « passent par la peau par osmose, pour ainsi dire, et confèrent une nouvelle intimité aux objets ». Résultat : un fauteuil lourdingue, voire presque « dégoûtant », constitué d’un patchwork de cuirs imprimés « croco » ou reptile, tailladés dans le vif. Pour Edra, « [ces] matériaux aux combinaisons sciemment insolites accentuent leurs valeurs sensibles et invitent à redécouvrir un plaisir tactile bien souvent délaissé ». Question de goût ! 

Zaha Hadid, superstar du design contemporain
S’il est un personnage, dans cette édition 2007, qui a trusté le devant de la scène, c’est bien l’Anglo-Irakienne Zaha Hadid, star de l’architecture mondiale. Est-ce dû à la présence en salles des ventes d’une multitude de ses créations ?
Le fait est que les éditeurs aussi semblent se l’arracher à qui mieux mieux. Pour le fabricant italien d’objets pour l’extérieur Serralunga, Zaha Hadid a dessiné les deux vases en polyéthylène laqué Flow, qui ressemblent à deux coquerets du Pérou géants. Pour l’éditeur milanais Sawaya & Moroni, elle a imaginé The Zaha Hadid Sterling Silver Bowl, une coupe en argent à la ligne effilée. Tout comme sont fuselées les pièces qu’elle livre à l’anglais Established & Sons et au transalpin B&B Italia.
Pour le premier, les quatre tabourets sculpturaux Nekton, en plastique roto-moulé, fonctionnent au choix ensemble ou séparément. Pour le second, le canapé Moon System n’est pas sans évoquer les moraines des paysages extrêmes, arctiques ou antarctiques. Des formes qu’on lui sait familières, même si la dame n’est assurément pas de glace. 

Fiat, Lux... et volupté
Tous les deux ans, Euroluce, Salon international de l’éclairage d’intérieur et d’extérieur, voire désormais du luminaire urbain, vient compléter le Salon du meuble de Milan.
Cette année, la vingt-quatrième édition a mis notamment en lumière le travail de Ross Lovegrove pour l’éditeur transalpin Artemide. Avec la double collection Hydro, le designer gallois a allègrement surfé sur le thème de l’eau. « Comme [leur] nom l’indique, explique-t-il, [ces] nouveaux projets se réfèrent à mes recherches sur l’aérodynamique et sur les qualités des surfaces organiques qui favorisent l’articulation réfléchie de la lumière. » D’un côté, la suspension Mercury se compose d’une myriade de galets longs et plats telles des gouttes de mercure suspendues sous un disque en aluminium. De l’autre côté, la série Aqua dispose d’un diffuseur en aluminium hydro-formé et traité façon miroir. Ce dernier donne l’impression d’être fuyant comme de l’eau qui court.
« [C’est] un tourbillon flottant en l’air et donnant un dynamisme magique à l’espace, estime Ross Lovegrove. Une sculpture qui, même lorsqu’elle est éteinte, réfléchit la lumière ambiante. » 

La (r)évolution des matériaux
Le Salon de Milan est aussi le lieu où l’on a recours à de nouveaux matériaux, où l’on expérimente de nouvelles façons d’utiliser ceux déjà existants. L’américain DuPont de Nemours a ainsi fait appel à Jean Nouvel pour réveiller l’un de ses matériaux fétiches : le Corian, un mélange mi-minéral, mi-synthétique. Comme le fit jadis Ettore Sottsass, l’architecte français a réfléchi sur la translucidité, allant jusqu’à faire passer ce matériau plutôt ingrat pour une délicate cloison de papier japonais.
Chez Kartell, c’est Patrick Jouin qui a retenu l’attention avec sa chaise Thalya. Encore un peu et l’on passerait devant sans la remarquer tant sa silhouette discrètement rétro paraît familière. Il n’en est rien. La transparente Thalya bénéficie d’une technologie de pointe : l’injection au gaz de polycarbonate. La particularité de son façonnage permet d’obtenir un motif linéaire qui rehausse l’arrière de l’assise et du dossier. Ces deux derniers sont, en outre, marqués de « griffures régulières à effet texturé ». « J’ai voulu, explique Patrick Jouin, intégrer dès l’origine l’un des reproches que l’on fait souvent à un produit en plastique transparent : celui de se rayer facilement à l’usage. » De l’art d’intégrer en amont les stigmates du temps. 

Éditions limitées : art ou design ?
Rarement la présence des marchands d’art n’aura été autant visible qu’à ce Salon de Milan 2007 et, c’est là assurément le fait marquant. L’édition limitée commence à pulluler et à brouiller davantage encore les cartes du design. Symbole fort : la galerie Moss (New York) qui, comme n’importe quel éditeur de séries limitées, exposait dans le quartier branché de Tortona le travail du duo formé par le Belge Job Smeets, 37 ans, et la Néerlandaise Nynke Tynagel, 30 ans, alias Studio Job. Leur collection de sept pièces monumentales en bronze, verre et bois s’inspire d’objets emblématiques du quotidien des Pays-Bas : une chope à bière, une bouteille de lait, ou encore un tabouret à traire. Chaque œuvre est éditée à cinq exemplaires, les prix allant de 18 000 à 29 000 euros.
Pour le galeriste Murray Moss, le monde du design et le monde de l’art ne sont plus désormais étanches. « Avant, explique-t-il, lorsqu’on parlait de design, on pensait implicitement à la fonctionnalité, or ce n’est plus vrai aujourd’hui. La frontière entre art et design est de plus en plus floue. Et ce n’est qu’un début ! » 

Autour de l’exposition

Bruxelles, l’autre capitale du design ? Inaugurée en 2006, la Semaine du design de Bruxelles change de nom et devient Design September. Ainsi rebaptisé, l’événement connaît un développement important en temps et en espace. Pendant 21 jours, du 9 au 30 septembre 2007, il investit l’ensemble de la ville et propose au public une série d’événements autonomes. À côté des expositions monographiques et thématiques – Eero Saarinen, Vienne-Bruxelles, les chaises d’architectes belges –, d’autres propositions familiarisent le visiteur avec la discipline. Les visites des galeries bruxelloises et des ateliers de designers, le marché aux puces, les conférences ou la cérémonie de clôture confèrent à la manifestation un caractère convivial et novateur. De belles découvertes en perspective. Tous les renseignements sont accessibles via www.designseptember.be

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°594 du 1 septembre 2007, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre le design actuel

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