Musée

La Tate St Ives

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 22 novembre 2017 - 1323 mots

Implantée depuis 1993 dans une ancienne colonie britannique d’artistes, la Tate St Ives rouvre au public après un important chantier de rénovation et d’agrandissement. Si sa visite se mérite, le lieu vaut le détour.

« Voilà pourquoi il s’agit du plus beau des musées ! », lâche, goguenard, le chauffeur de taxi qui nous dépose au pied de la Tate St Ives. En cette radieuse matinée d’automne, on serait presque tenté de lui donner raison, la lumière dorée et le bleu turquoise, presque caraïbe, de l’océan formant en effet un écrin idyllique pour ce musée. On comprend alors instantanément ce qui a motivé les décideurs à choisir ce site pour ériger un établissement en l’honneur des colonies d’artistes modernes qui se sont implantées dans cette séduisante station balnéaire des Cornouailles. Campé face à l’Atlantique et bordé d’une pointe rocheuse dominée par une chapelle romantique, le musée est aussi lové contre le vieux cimetière ; un véritable must pour les amateurs de patrimoine funéraire.

Pourtant, créer de toutes pièces un musée d’envergure ici était un pari audacieux, car découvrir St Ives, cela se mérite. Il faut ainsi compter plus de cinq heures de train depuis Londres, mais le trajet en vaut la chandelle puisque cet ancien village de pêcheurs possède un charme fou avec sa profusion de cottages historiques transformés en ateliers, ses chaleureux salons de thé et ses innombrables pubs – le plus célèbre d’entre eux, le Sloop Inn est entré dans les annales pour avoir été le théâtre d’une bagarre homérique impliquant un certain Francis Bacon. Sans même parler de sa végétation étonnamment luxuriante et exotique, due au microclimat qui baigne l’extrémité occidentale des Cornouailles.
 

Perpétuer la mémoire des artistes

Contrairement à nombre de hauts lieux artistiques attirant le chaland, St Ives a heureusement su conserver son authenticité sans sombrer, non plus, dans l’écueil de la ville-musée. L’un des exemples les plus frappants de cet état d’esprit se trouve à quelques encablures du musée : au détour d’une ruelle, face à une église devenue galerie d’art, le visiteur découvre les ateliers et les caves Porthmeor, une institution centenaire et atypique qui rassemble, sur un même site, des ateliers d’artistes, toujours en activité, et des espaces réservés aux pêcheurs qui peuvent notamment y ravauder leurs filets.

Cette singulière tradition de cohabitation a d’ailleurs inspiré à l’artiste Mark Dion une vaste installation : The Maritime Artist. En venant travailler à St Ives, l’Américain a mis ses pas dans ceux de prestigieux prédécesseurs puisque, depuis le XIXe siècle, la station balnéaire attire de grands noms. Turner, Sickert et même Whistler sont venus y peindre, attirés par la lumière irrésistible de cet endroit mais aussi par ses paysages réputés. Toutefois, malgré leur aura, ces artistes ne firent étrangement pas d’émules. Il faudra attendre l’entre-deux-guerres pour qu’éclose l’école de St Ives.
 

Plaque tournante de la modernité

En 1928, Ben Nicholson et Christopher Wood visitent le village et découvrent le peintre naïf Alfred Wallis. Cette rencontre avec le pêcheur-artiste orientera grandement l’évolution de ces deux artistes. Une décennie plus tard, alors que la guerre gronde, Nicholson et son épouse, la sculptrice Barbara Hepworth, se réfugient à St Ives. Avec leur ami le constructiviste russe Naum Gabo, ils forment une colonie d’artistes rassemblée autour d’un idéal esthétique : l’abstraction géométrique. La petite bande explore alors les voies les plus radicales de l’art de son temps et la tranquille bourgade s’impose comme le cœur battant de la modernité en Grande-Bretagne, et ce, jusque dans les années 1960. Ces pionniers sont rapidement rejoints par des artistes plus jeunes. Cette nouvelle génération convoque progressivement ses propres références et sources d’inspiration, notamment une abstraction plus lyrique et expressionniste. Wilhelmina Barns-Graham, Terry Frost, Roger Hilton, Peter Lanyon et, bien sûr, Patrick Heron reprennent alors le flambeau.

À la fin des années 1980, la région décide de faire revivre cet héritage prestigieux et demande à la Tate Gallery de l’aider à ramener les principaux acteurs de l’école de St Ives là même où ils ont créé leurs œuvres emblématiques. La région, alors en perte de vitesse, mise aussi sur l’ouverture d’une structure culturelle renommée pour redorer son blason et doper son économie. Une intuition visionnaire puisque l’antenne de la Tate ouvre en 1993, soit quatre ans avant l’inauguration du Musée Guggenheim de Bilbao. Les résultats sont largement au-delà des espérances des concepteurs puisque le site attire 250 000 visiteurs par an, soit trois fois plus que les 70 000 espérés.

Le petit musée de 600 m2 est rapidement submergé et doit entreprendre des travaux d’agrandissement. Ce chantier, qui a permis de doubler la surface d’exposition et de doter l’établissement d’équipements à la hauteur de sa réputation et de son ambition internationale, vient tout juste de s’achever. Un nouveau parcours magnifie plus que jamais les vedettes de l’école de St Ives, tout en soulignant leurs étroites relations conceptuelles et esthétiques avant les avant-gardes internationales du XXe siècle.

 

 

Le Musée Barbara Hepworth
Depuis la ruelle qui longe cette demeure, en apparence quelconque, impossible d’imaginer les trésors qu’elle renferme. En effet, une fois passé le seuil de la maison-atelier, c’est un véritable enchantement. Barbara Hepworth vécut et travailla entre ces murs de 1949 à sa disparition, en 1975. Conformément à son souhait de voir ce lieu transformé en musée, la maison et toutes les œuvres qu’elle abritait furent données à l’État et placées sous l’autorité de la Tate Gallery. Depuis, l’atmosphère des lieux a été parfaitement préservée et le visiteur évolue dans différentes ambiances évocatrices et complémentaires. Le salon conserve ainsi des tableaux, des archives et de petites sculptures, tandis que les ateliers extérieurs expliquent le procédé de création d’Hepworth. Cet espace présente intelligemment des outils et quelques pièces à différents stades d’avancement. Le point d’orgue de la visite est le gracieux jardin aménagé par l’artiste. Ses grands bronzes, qui se mêlent harmonieusement à une végétation touffue, offrent une approche inédite et réjouissante de l’œuvre de cette grande sculptrice.
Isabelle Manca
 
Barbara Hepworth Museum, Barnoon Hill, St Ives (Grande-Bretagne), www.tate.org.uk/visit/tate-st-ives
Patrick Heron, "Azalea Garden: May 1956"Ben Nicholson, 1924 "first abstract painting, Chelsea"Barbara Hepworth, "Curved Form (Trevalgan)"Alfred Wallis, "The Blue Ship"
St Ives a accueilli plusieurs vagues d’artistes. Après les pionniers de l’abstraction géométrique, la ville fut ainsi l’écrin d’une colonie de jeunes peintres particulièrement actifs dans les années 1950 et 1960. Patrick Heron fut l’un des principaux représentants de cette génération influencée par l’abstraction lyrique. L’artiste, fasciné par la végétation luxuriante de cette partie des Cornouailles, réalisa de nombreux tableaux extrêmement colorés et lumineux, inspirés par les jardins de la région.En 1928, avec son compère Christopher Wood, Ben Nicholson découvre la station de St Ives et surtout l’art d’Alfred Wallis. Le caractère naïf et direct de son travail incite les deux artistes à repenser leur pratique. Nicholson évolue alors irrémédiablement vers l’abstraction, et deviendra même l’un des tout premiers artistes britanniques à suivre cette voie. Ce tableau, le premier à franchir le seuil de la non-figuration, est typique de son approche très sensuelle des formes géométriques.De très nombreuses œuvres de cette grande dame de la sculpture abstraite trouvent en réalité un écho poétique avec des formes observées dans la nature. Les pièces produites durant son séjour à St Ives ne dérogent pas à la règle, et évoquent très souvent les beaux paysages des Cornouailles et plus particulièrement les falaises, les rochers et la côte. Comme son sous-titre l’indique, cette œuvre a ainsi été inspirée par le paysage marin visible depuis le sommet de la colline de Trevalgan. C’est un peu le Douanier Rousseau anglais. Alfred Wallis est en effet le prototype de l’artiste naïf puisqu’il n’a reçu aucune formation académique et a développé un style très personnel et infusé de culture et d’imagerie populaire. Avant de s’illustrer dans la peinture, à plus de soixante-dix ans, Wallis avait travaillé presque toute sa vie comme pêcheur. L’âpre quotidien des ouvriers de la mer mais aussi les paysages emblématiques des Cornouailles furent logiquement ses sujets de prédilection.

 

 

Tate St Ives, Porthmeor Beach, St Ives (Grande-Bretagne), www.tate.org.uk/visit/tate-st-ives

 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°707 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : La Tate St Ives

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