La soutenable légèreté de l’aérocène

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 2 octobre 2017 - 493 mots

SCULPTURES AERIENNES - Nous Avons Déjà Largement évoqué ici l’anthropocène. Forgée en 2002 par le prix Nobel de chimie Paul Crutzen et largement discutée depuis, cette notion postule que la civilisation thermo-industrielle affecte le milieu terrestre au point de justifier le passage de l’holocène à une nouvelle ère géologique.

Pour les chercheurs, philosophes, activistes et artistes qui le mobilisent, le terme offre de souligner l’ampleur, comparable à l’activité d’un volcan, des transformations générées par le mode de production et de consommation capitaliste. Parfois taxé de capitalocène, l’anthropocène ouvre ainsi sur une mise en question des limites de la croissance, bref sur la nécessité de changer de modèle.La volonté d’ouvrir une nouvelle ère est justement au cœur du travail de Tomás Saraceno. Depuis une bonne dizaine d’années, l’artiste italo-argentin affirme, œuvre après œuvre, sa solide volonté de prendre de la hauteur – au sens propre du terme – pour favoriser une approche aérienne des questionnements contemporains. Formé à l’architecture et façonné par les utopies de Buckminster Fuller ou Yona Friedman, il a ainsi conçu des projets de « villes nuages » (Cloud Cities) modulables et écologiques, qui ont été tour à tour exposés à Berlin ou au Metropolitan Museum of Art de New York en guise d’invitation à habiter et à appréhender le monde autrement. En décembre 2015, à l’occasion de la COP21, Tomás Saraceno présentait aussi au Grand Palais, dans le cadre de Solutions COP21, une œuvre constituée de ballons flottant dans l’air grâce à une exploitation habile des lois thermodynamiques.Cette pièce remarquée s’inscrit dans un projet collectif au long cours, situé à la confluence de l’art, de la science et de la politique. Intitulé Aerocene (comme l’œuvre du Grand Palais) et porté par la fondation du même nom, ce dernier entend favoriser l’avènement d’un « imaginaire thermodynamique » susceptible de déborder le cadre conceptuel de l’anthropocène. Le tout via l’élaboration et la diffusion en open source de ballons capables de voler sans hélium ni hydrogène, sans panneaux solaires ni batteries, mais grâce à la seule combinaison de la chaleur et du rayonnement solaire. De quoi renvoyer dans les cordes les exploits médiatiques de Solar Impulse…Depuis la réalisation d’un premier vol humain dans le désert des White Sands (États-Unis) en novembre 2015, Tomás Saraceno et ses sculptures aériennes parcourent le monde au gré de festivals, de workshops, d’expositions ou de foires, comme ce mois-ci à la Fiac. Leur savant pèlerinage est une invitation à renverser du tout au tout les termes de la question climatique : quand l’anthropocène se marquait par une exploitation du sous-sol capable d’altérer la composition chimique de l’air, l’aérocène dévoile au contraire l’atmosphère comme un lieu où explorer et expérimenter des formes d’habitat et de mobilité à l’empreinte légère, délestées des modes de production extractivistes. Répliques aux fantasmes de la bio-ingénierie, les objets volants de Saraceno dévoilent ainsi un nouvel horizon social et politique. Illustrant au passage qu’il est parfois bon, pour déboucher l’avenir, de ne pas trop avoir les pieds sur terre…

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°705 du 1 octobre 2017, avec le titre suivant : La soutenable légèreté de l’aérocène

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque