Alberto Giacometti. Catalogue raisonné des estampes

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 29 août 2017 - 769 mots

Publié par la Fondation Giacometti et les éditions de la Galerie Kornfeld, le catalogue raisonné des estampes de Giacometti constitue une somme étourdissante, malheureusement entachée de quelques flottements.

Enfin. Enfin, le catalogue raisonné des estampes d’Alberto Giacometti vient combler un manque, voire une lacune au regard de l’importance artistique et économique de cette idole des cimaises et des salles de ventes. À ceux qui vitupéreraient devant le temps passé à attendre, il suffira de tourner les pages de cet ouvrage cyclopéen pour mesurer l’ampleur du travail accompli et, avec, excuser le délai de l’entreprise.
 

Titanesque

La présente publication est constituée de deux volumes reliés. Leur couverture grège, sur laquelle est sobrement disposée la signature de l’artiste, est recouverte par une blanche jaquette de papier glacé accueillant le titre du livre, ses auteurs, ses éditeurs et, surtout, une estampe significative – une illustration de Giacometti pour Les Pieds dans le plat (1933) de René Crevel et La Mère de l’artiste dans la « stua » à Stampa (1958).

Le premier volume, qui couvre la période 1917-1957/1958, abrite, dans l’ordre, une préface d’Eberhard W. Kornfeld (le galeriste bernois qui revient sur la genèse de ce projet titanesque, imaginé du vivant de l’artiste, dès 1963), une introduction (signée Mathilde Lecuyer-Maillé, de la Fondation Giacometti, l’autre pôle scientifique du livre), un guide de consultation, une liste des abréviations puis des signatures et, enfin, le catalogue des estampes, riche de 452 numéros quand le précédent répertoire d’Herbert C. Lust en recensait un peu plus de la moitié [Alberto Giacometti. The Complete Graphics, 1970].

Le second volume, qui explore les années 1957-1958 jusqu’à 1965, se clôt par des index alphabétiques des œuvres, des livres, des auteurs et des éditeurs ainsi que par une table des concordances entre le présent catalogue et celui conçu par Lust. Tout y est, ou presque.
 

Docte

Les 452 notices d’œuvres sont irréprochables : chacune jouit d’un titre, de dimensions – celles du dessin ou du coup de planche –, de la date de création de l’estampe, d’une mention d’éditeur et d’imprimeur. Sont précisées les localisations connues des épreuves d’essai, des bons à tirer, des éditions et, si elles existent, des épreuves supplémentaires tandis que quelques lignes alimentent opportunément la notice des estampes plus rares ou confidentielles (Hommage à Derain, 1954).

Tous les numéros sont assortis, en belle page, d’une reproduction dont le lecteur déplorera tantôt la piètre qualité – certaines sont curieusement découpées, tristement ombrées (Figure marchant vers la droite et personnage au loin, 1960), voire incapables de restituer le grain d’un papier ou la profondeur d’une cuvette –, tantôt les dimensions, trop peu respectueuses de l’épreuve originale quand l’ample format du livre (25,5 x 31,5 cm) aurait pourtant autorisé ce scrupule iconographique (Bouquet dans une cruche I, 1962).

Par ailleurs, chaque projet éditorial auquel participa Giacometti, qu’il fût signé Charles Ferdinand Ramuz, René Char ou Jacques Dupin, s’ouvre par un texte serré, nourri de sources archivistiques et peuplé de doctes considérations techniques. Précieux.
 

Imparfait

Cette somme offre à comprendre combien Giacometti, de ses seize ans jusqu’à sa mort, approcha la gravure sur bois, l’eau-forte, le burin et la lithographie, explora les spécificités de chacune d’entre elles, fouilla par la ligne l’énigmatique présence d’un monde qui toujours se dérobait, poursuivit son défi figural une fois abandonnés le fil, le fer et le plâtre, infléchit sa sculpture au gré de ses expérimentations estampées, que l’on veuille songer à ses têtes plates de la fin des années vingt.

Écrivant, sculptant, dessinant, gravant ou peignant, Giacometti, plus encore que Michel-Ange ou Picasso, réfuta toute endogamie technique. Or, l’introduction, polluée par de subreptices scories, impardonnables eu égard à l’ambition et au prix de cette publication, énumère fastidieusement des faits sans jamais les mettre en relief avec l’histoire, comme insensible à cette porosité des territoires et aux contemporains capitaux.

Jouant avec l’épargne comme avec le silence (Homme debout, 1952), griffant la matière (Femme nue de face II, 1955), scrutant l’espace comme un écheveau infini (Rue d’Alésia, 1951), fouillant la chair jusqu’à sa morbide splendeur (Michel Leiris au lit, de profil, 1957-1958), Giacometti n’assigne pas à l’estampe un rôle illustratif ou ornemental – il faut ici relire les typologies établies par Ségolène Le Men –, puisque celle-ci exhausse un texte dont elle est l’épiphanie, non la subordonnée.

Annoncé pour les mois prochains, un troisième volume sera consacré au Paris sans fin, publié par Tériade en 1969. Gageons que cette déambulation existentialiste, et presque structuraliste, de Giacometti dans la grande ville moderne jouira d’une analyse liminaire évitant à ce travail extravagant de n’être qu’une gigantesque bible pour les marchands du temple, ou qu’un luxueux folioscope.

 

Alberto Giacometti. Catalogue raisonné des estampes. 1917-1965,

Fondation Giacometti/Éditions Galerie Kornfeld, 2 volumes, 764 p., 450 CHF (414,30 €).

 

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°704 du 1 septembre 2017, avec le titre suivant : Alberto Giacometti. Catalogue raisonné des estampes

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