Musée

Châteauneuf-du-Faou

Un village derrière Sérusier

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 29 août 2017 - 1348 mots

CHÂTEAUNEUF-DU-FAOU

Emmenée par un édile passionné, la ville du centre Finistère projette d’ouvrir un musée au peintre, qui s’y était, jadis, installé.

Lundi, 15h : rendez-vous avec le maire de Châteauneuf-du-Faou dans le cadre d’une enquête sur les peintres modernes en Bretagne. Cette commune a en effet été la terre d’élection de Paul Sérusier, de 1893 à sa disparition en 1927, mais cette histoire demeure nettement plus confidentielle que le séjour d’autres artistes dans la région. Toutefois, une personne bien informée nous a incités à nous rendre dans ce bourg pour découvrir les actions menées afin de valoriser cet héritage.

Le premier des Châteauneuviens, Jean-Pierre Rolland, nous reçoit chaleureusement dans son bureau et, là, c’est le choc. La modeste pièce, un bureau comme il en existe des milliers à travers l’Hexagone avec ses grands néons zénithaux et son mobilier standardisé, est littéralement tapissée d’œuvres de Sérusier. Ici, une superbe Nature morte, là, un paysage avec son paisible ruisseau, mais aussi quantité de dessins, dont une belle Vierge au grand voile. À quelques mètres de là, dans la salle du conseil municipal, le défilé continue avec les œuvres de l’épouse de Paul, Marguerite Sérusier, qui s’exposent fièrement autour de la table de réunion. Une grande peinture, vraisemblablement réalisée à quatre mains par le couple, attire particulièrement le regard. Il s’agit d’un tableau publicitaire à la gloire de Châteauneuf, qui ornait autrefois le buffet de la gare de Carhaix. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises, car, de retour dans son bureau, l’édile ouvre ses placards et en sort, le plus naturellement du monde, des quantités faramineuses de dessins, de toiles, d’estampes et de croquis de la main du grand nabi, mais aussi d’autres artistes modernes.

Un achat rocambolesque

Mais l’œuvre dont notre hôte est le plus fier, c’est la petite dernière : L’Autoportrait à la barbe rutilante. Tout d’abord parce qu’elle est symptomatique du travail de l’artiste dans la cité, car il s’est représenté devant le paysage qu’il voyait depuis son atelier, situé à l’arrière de la maison qu’il a construite sur la rue qui porte aujourd’hui son nom. Mais ce tableau a également une valeur toute particulière en raison des conditions de son entrée dans la collection. Offert à Maurice Denis par son auteur, il était resté dans la famille jusqu’à sa vente aux enchères le 6 mai dernier chez Thierry-Lannon & Associés à Brest. Bien décidé à acheter ce tableau, estimé entre 50 000 et 60 000 euros, le maire se lance dans une aventure inédite : une grande souscription publique.

Pari payant : en un mois à peine, il parvient à récolter plus de 30 000 euros. Des entrepreneurs locaux ainsi que de nombreux particuliers vivant ou ayant des attaches à Châteauneuf-du-Faou ont délié leur bourse, mais aussi des mécènes plus inattendus comme ces Californiens collectionneurs de Sérusier. « Elle est anthropologue et lui médecin ; lors d’un voyage en Europe pour un congrès, ils ont voulu découvrir les lieux peints par Sérusier », raconte Jean-Pierre Rolland. « Je les ai reçus à l’improviste dans mon bureau et ils ont été impressionnés, depuis nous entretenons une correspondance et ils ont souhaité participer à cet achat. » Présentant le projet d’acquisition au conseil municipal, l’édile reçoit le feu vert et le droit de dépenser jusqu’à 80 000 euros. Pourtant, le jour J, pour son baptême du feu en salle de vente, le maire est inquiet. Il faut dire que le tableau précédent, Le Battage du blé noir, estimé à 150 000-200 000, s’envole à 485 000 euros. « À ce moment-là, je me suis dit que c’était fichu pour nous ! », confie-t-il. « Quand j’ai enfin vu le marteau tomber à 54 000 euros en notre faveur, j’étais soulagé et heureux. » La commune a d’ailleurs bénéficié d’un coup de pouce du destin. « L’acheteur américain contre qui j’enchérissais avait donné un ordre d’achat et il n’a pas pu surenchérir une fois l’ordre dépassé, car il était dans un avion. » S’agissant d’un peintre féru de mysticisme et d’ésotérisme, ce clin d’œil venu des cieux est sacrément savoureux.

Bientôt un musée ?

Avec cette pièce phare, la collection municipale culmine à deux cents œuvres, dont la moitié réalisée par les Sérusier. Pour l’heure, ce fonds est visible ponctuellement dans le bureau du maire. « Mais ce n’est pas l’idéal, car je ne peux pas ouvrir cette pièce en permanence. Ce lieu est sécurisé, mais il n’est pas adapté à la conservation optimale des œuvres ; il leur faut un espace muséographique. » Une maison a été achetée sous la précédente mandature en vue d’être transformée en musée. Elle est située à un emplacement privilégié : en plein centre-ville, juste à côté de l’église paroissiale qui renferme des fresques du peintre. Entériné en 2013, le projet de musée a été considérablement ralenti depuis, par le contexte économique et notamment les importantes baisses de dotations. Votée à l’unanimité, la création d’un musée avait été l’ultime grand projet de son prédécesseur Christian Ménard, maire de 1989 à 2014, et artisan de la constitution de la collection. « En 1969, quand je me suis installé à Châteauneuf-du-Faou, on ne parlait pratiquement pas de Sérusier », se rappelle ce dernier. « Pourtant, au cours de mes pérégrinations de médecin de campagne, je me suis rendu compte que beaucoup de particuliers avaient des tableaux du peintre chez eux. J’ai notamment connu un plombier qui avait plusieurs œuvres que Sérusier lui avait données contre des services rendus. »

Dans les années 1980, l’intérêt pour l’artiste s’accentue grâce à la publication d’ouvrages et à la vente Boutaric, du nom de la légataire universelle de Marguerite Sérusier. « Après mon élection, une des premières choses que j’ai faites a été d’acheter des œuvres, il n’y en avait que trois à l’époque dans la collection municipale. J’avais déjà l’idée de créer un musée, mais, pour être crédible, il fallait d’abord posséder des œuvres, donc j’ai commencé par des achats assez modestes, des pièces valant entre 5 000 et 20 000 euros, ainsi que des objets lui ayant appartenu. »

Parallèlement, d’autres actions sont menées par la Ville : création d’un parcours sur les pas de l’artiste, dépôt du nom Paul Sérusier à l’Institut national de la propriété intellectuelle, édition d’un timbre, d’estampes numérotées, de bijoux, mise en place d’un prix de peinture sous l’égide du nabi, et bien sûr l’organisation de visites de cette collection grandissante. À juste titre, Châteauneuf-du-Faou s’est d’ailleurs vu décerner la « Marianne d’Or » catégorie culture en 2007.

L’alignement des planètes

« Ce n’est peut-être pas mon artiste préféré, mais j’ai beaucoup voyagé et, quand je voyais qu’il est présent dans de grandes collections à Washington, Tokyo ou encore Londres, je me disais : quelle chance pour une petite ville comme la nôtre d’être liée à un aussi grand artiste », avance l’ancien député-maire. « Et ne pas en tirer parti serait un véritable crime. Mais il faut agir vite, car il y a actuellement de nombreux signaux positifs. » Outre l’intérêt intrinsèque pour l’artiste, le futur musée génère en effet des espoirs notamment en matière de retombées touristiques et donc économiques pour cette commune de 3 717 âmes, pour l’heure en marge des grands circuits culturels. La réussite d’autres équipements créés récemment dans la région, et similaires dans leur envergure comme le remarquable Musée du Faouët, plaide clairement pour l’ouverture d’un établissement à Châteauneuf-du-Faou.

Événement encore plus décisif, la commune vient de recevoir un legs providentiel. Une ancienne habitante, Suzanne Yvinec, a souhaité léguer tous ses biens à la commune à condition que ces ressources soient utilisées pour la création d’un musée Paul et Marguerite Sérusier. Ce legs d’une valeur de 480 000 euros se compose de numéraire, d’une maison, de mobilier, notamment ancien qui pourrait servir à évoquer l’atmosphère d’une maison bretonne à l’époque du peintre, mais surtout de quatre-vingts œuvres dont deux toiles de Sérusier et une lithographie de Gauguin ! « Grâce au legs, nous avons les fonds pour démarrer le chantier sans impacter les impôts de nos administrés », explique Jean-Pierre Rolland. « L’étude de faisabilité peut désormais commencer et j’espère pouvoir inaugurer le musée avant la fin de mon mandat. » Le maire table ainsi sur une ouverture fin 2019.

 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°704 du 1 septembre 2017, avec le titre suivant : Un village derrière Sérusier

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