Giger sanctuarisé

Par Gérald Guerlais · L'ŒIL

Le 26 juin 2017 - 428 mots

Nantes -  Au début des années 1970, Alejandro Jodorowsky prépare l’adaptation de Dune pour le cinéma.

Son insatiable quête d’artistes capables de mettre en image les visions de Frank Herbert l’amène chez Salvador Dalí. Le Catalan fou lui montre la peinture offerte par un peintre admirateur quelques jours plus tôt : H.R. Giger. Choc esthétique instantané devant les collisions libidineuses mécaniques et organiques qui s’étalent sur la toile. Jodorowsky engage aussitôt le créateur de ces monstruosités érotiques. Si la version jodorowskyenne de Dune est finalement avortée, un collaborateur du projet, Dan O’Bannon, a, grâce à Alejandro, repéré Giger et l’engage pour le développement visuel d’un autre projet naissant : Alien. Un succès mondial et un Oscar des effets spéciaux plus tard, voilà Giger rapidement intronisé comme le pape incontesté du macabre. Une marque de fabrique que le créateur va faire fructifier avec une régularité pathologique jusqu’à sa mort en 2014. Nul ne dispute la suprématie de ses visions cauchemardesques, dont la noirceur et les rouages industriels sépulcraux surpassent les visions de Jérôme Bosch auprès d’une génération hypnotisée par ses cadavres mécaniquement démembrés dans les arcanes insalubres. Ses livres illustrés, Necronomicon et Necronomicon II, associés aux parutions régulières dans le magazine Omni, consolident sa réputation mondiale. Si son expression artistique, autoproclamée biomécanique, empreinte formellement à l’esthétique mélangée de Dado, Gustave Moreau, Hector Guimard et Hans Bellmer, ses principales influences officielles demeurent Ernst Fuchs et donc Salvador Dalí, la couleur en moins. Mais pour frayer avec autant d’appétit nécrophage et d’aisance funèbre dans ces lumières crépusculaires, il faut sincèrement être pétri de leurs putréfactions démoniaques. L’expiation artistique des démons intérieurs de Giger a été sincèrement alimentée par la constance morbide de ses réelles terreurs nocturnes, péniblement gérées depuis le plus jeune âge, dans le canton des Grisons où il grandit sous la coupe d’un père chimiste, duquel il lui tardait de s’émanciper. Son talent lui a permis de catalyser tout au long de sa vie un inventaire lugubre et putride qui fascine autant qu’il dérange. Le soin réaliste de ces univers fantastiques a été magnifié par sa maîtrise de l’aérographe qui permet des rendus lisses, une restitution maniaque des effets métalliques et de vapeur qui concourt à faciliter l’immersion dans son imaginaire envahi de charognes robotisées. L’artiste préférera en fin de carrière les pastels, les marqueurs et encres où son geste était plus assumé. À l’occasion du Voyage à Nantes, le Lieu unique réhabilite cet été cet artiste injustement boudé des institutions culturelles, tant son travail questionne notre rapport au malsain, voire anticipe à sa manière les dérives prométhéennes du transhumanisme.

Musée Giger, château Saint-Germain,Gruyères (Suisse), www.hrgigermuseum.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°703 du 1 juillet 2017, avec le titre suivant : Giger sanctuarisé

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