Église

Tableaux d’églises, un trésor près de chez vous

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 13 avril 2017 - 1672 mots

À Paris, une grande exposition met en lumière la peinture d’église. Souvent peu considérée, voire oubliée, elle cache pourtant, à Paris et ailleurs, de véritables chefs-d’œuvre qu’il faut préserver.

Un retable de Simon Vouet récemment repéré à Évry, un Le Nain identifié dans un bourg breton ou encore des peintures murales flamandes du XVe siècle qui ressurgissent actuellement au cœur du Morbihan… Décidément, les églises françaises regorgent de trésors insoupçonnés. Les quelque 40 000 lieux de culte qui jalonnent l’Hexagone abritent un patrimoine mobilier extraordinairement riche mais méconnu. Œuvres d’art totales, les églises sont des lieux uniques offrant à la fois une leçon de peinture, de sculpture et d’architecture. À l’échelle du territoire, elles constituent un musée immense et gratuit, contrairement à nos voisins où l’accès aux plus beaux sites est généralement payant.

La situation est d’ailleurs paradoxale, car il est fréquent que des amateurs d’art se ruent sur ces lieux lors de leurs voyages, parfois même pendant l’office pour éviter les touristes, alors qu’ils rechignent à franchir le seuil de l’église de leur paroisse. « Je pense que nos concitoyens ont moins conscience de la richesse de nos églises », avance Antoine Gache, chef de projet à la Sauvegarde de l’art français. « Il y a aussi une grande méfiance en France : pour beaucoup de personnes, ce n’est pas la même chose d’aller voir une Vierge dans un musée ou une église, car le musée désacralise et facilite un regard purement esthétique. » Ce blocage psychologique s’explique en partie par les violentes ruptures historiques entre la société française et l’Église. « L’aspect religieux ne devrait cependant plus rebuter les gens », estime Guillaume Kazerouni, conservateur au Musée des beaux-arts de Rennes et spécialiste des tableaux d’église. « C’est une question de pédagogie ; il faut arrêter de mettre de l’idéologie là-dedans et expliquer aux visiteurs que, sous l’Ancien Régime, une église ce n’était pas qu’un lieu de culte, mais aussi une mairie et une galerie d’art. »

Jusqu’à une date récente, le clergé a de fait été le principal commanditaire, d’où la quantité hallucinante d’œuvres de dévotion produites par les plus grands artistes. Vitrine de luxe pour les créateurs, l’église était aussi le quasi seul espace de rencontre entre le quidam et l’art de son temps. Outre des réticences philosophiques, il est toutefois indéniable que ce patrimoine demeure confidentiel, car peu valorisé. Il n’y a ainsi guère de communication sur les églises des petites communes qui affichent par ailleurs souvent porte close, pour des raisons de sécurité. Plus grave encore, l’état de conservation est plutôt mauvais, voire alarmant dans certains cas, y compris pour des monuments historiques. Cette situation s’explique par la raréfaction des fidèles, et donc de l’entretien courant, mais aussi par les choix budgétaires des édiles, rarement en faveur de ce domaine encore jugé clivant, pour ne pas dire réactionnaire.

C’est un mauvais procès que l’on intente aux églises, car laisse-t-on mourir les châteaux de peur d’être taxé de nostalgique de la monarchie ? D’autant que, comme les anciennes demeures royales, elles peuvent être un atout pour le tourisme. « Mais, aujourd’hui, un tour-opérateur n’a aucune raison d’intégrer les églises dans son circuit étant donné qu’elles sont globalement sales et mal éclairées », avance Guillaume Kazerouni.

À Paris, un musée « caché »
En marge des urgences sanitaires qui menacent directement certains édifices, le manque de valorisation des trésors qu’ils abritent est en effet patent. C’est d’ailleurs un des enseignements de la brillante exposition « Le baroque des Lumières » consacrée aux tableaux des églises parisiennes du XVIIIe siècle, au Petit Palais. Car si une portion congrue de ces œuvres a depuis rejoint les musées, une part importante est toujours conservée dans les églises de la capitale où elle est devenue pratiquement invisible en raison de l’encrassement des peintures, de l’absence de médiation, mais aussi des conditions de présentation.

« Les tableaux ont été malmenés à la Révolution », rappelle Christophe Leribault, directeur du Petit Palais et commissaire de l’exposition. « Ceux qui ont été renvoyés dans des églises l’ont rarement été dans celle d’où ils provenaient, et ont souvent été installés là où il y avait un mur disponible ; par exemple accrochés très haut ou de côté dans des chapelles mal éclairées. Ce qui explique qu’on ne les voit plus sous leur meilleur jour. » Si la situation s’améliore progressivement, la tâche est immense. « Les besoins sont énormes », reconnaît Marie Monfort, responsable de la conservation des œuvres d’art religieuses et civiles de la Ville de Paris. « Notre service a en charge une centaine d’édifices avec, pour certains, des questions structurelles très complexes à régler. »

Malgré des moyens insuffisants, ce service mène toutefois des opérations remarquables et a, entre autres, fait restaurer une trentaine d’œuvres dans l’optique de cette manifestation, dont des pièces majeures de Jean Restout et François Lemoine. L’autre enseignement de cet événement est la démonstration de l’incroyable remue-ménage qu’a représenté la Révolution et les dépôts consécutifs aux saisies, notamment le décalage fréquent entre le prestige de certaines œuvres et la modestie de leur nouvel écrin. Qui se douterait, par exemple, que deux pépites du parcours : L’Adoration des Mages d’Oudry et le grand Christ en croix de David ont été respectivement expédiés à Villeneuve-Saint-Georges et à Mâcon ?

Des redécouvertes incessantes
De fait, les redécouvertes les plus spectaculaires ont majoritairement lieu hors de Paris. Outre cet héritage révolutionnaire, qui réserve encore de nombreuses surprises, d’innombrables dons de particuliers expliquent la présence d’œuvres majeures dans des lieux improbables. Face à ce gigantesque puzzle, plusieurs opérations s’emploient à mettre un coup de projecteur sur ce patrimoine. Fruit de l’exploitation du travail de recensement des tableaux italiens dans les collections publiques françaises, la saison culturelle « Heures italiennes » dévoile par exemple de nombreuses œuvres majeures découvertes dans les églises de Picardie. « La provenance des tableaux dans des petites églises est presque toujours mystérieuse », explique Nathalie Volle, responsable scientifique du projet. « Beaucoup sont sans pedigree. Ils proviennent vraisemblablement d’un château voisin ou ont été donnés par des paroissiens amateurs d’art. » Parmi les trouvailles majeures, on peut citer, entre autres, un superbe polyptyque rassemblant différents primitifs dont Lippo Memmi, offert à l’église d’Ermenonville par le prince Radziwiłł, mais aussi une époustouflante Sainte Famille d’Orazio Samacchini à La Neuville-en-Hez ou encore un Luca Giordano à Gouvieux ! Afin d’inciter le visiteur à découvrir encore davantage d’œuvres, une application géolocalisée a également été mise en ligne. Dédiée dans un premier temps aux Hauts-de-France, elle sera ensuite étendue à l’ensemble du pays.

Une immense chasse au trésor
Mais l’initiative la plus ambitieuse, et inventive, est assurément l’exaltante chasse au trésor qu’a lancée la Sauvegarde de l’art français à travers la campagne baptisée « Le plus grand musée de France ». Ce projet, lancé en 2013, a pour vocation de faire découvrir les merveilles inconnues du territoire et de lever des fonds pour sauver celles en danger, en mobilisant notamment des ambassadeurs inattendus comme des étudiants. « Notre idée centrale est de permettre à un maximum de personnes de profiter de leur patrimoine, c’est-à-dire le connaître et le comprendre. Or, pour cela, il faut qu’ils soient conscients que la survie de leur héritage dépend aussi d’eux », explique Olivier de Rohan-Chabot, président de la Sauvegarde de l’art français. Cette vaste entreprise de sensibilisation et de diffusion du patrimoine rencontre un franc succès, notamment grâce à l’utilisation des nouveaux médias qui déringardisent drastiquement l’image du patrimoine sacré.

Elle a surtout réussi son pari en mettant en lumière des œuvres de premier plan, inédites ou oubliées, à l’instar du Christ bénissant de Ribera. La renaissance de ce joyau niché dans la commune bretonne de Nivillac a lancé la campagne en fanfare. Ce premier fait d’armes a été suivi par plusieurs temps forts, comme le sauvetage d’une Mise au tombeau de Van Baburen conservée dans la modeste église du Petit-Bornand-les-Glières en Haute-Savoie depuis le XVIIe siècle. Le tableau du célèbre caravagesque hollandais, rapporté de Rome par un ressortissant du village en échange de différents services rendus, avait progressivement sombré dans l’oubli et était en péril. Autre trouvaille pour le moins sur­prenante, la Crucifixion de Martin Van Heemskerck a été identifiée  à L’Oudon dans le Calvados. L’œuvre de ce grand maniériste, apparemment donnée par l’illustre fondeur Barbedienne, était altérée et a été sauvée in extremis.

Les campagnes en cours promettent également leur lot de résurrections ! À l’image de L’Adoration des bergers de Juan de Roelas conservée dans un état critique à Favières-en-Brie. La présence de cette œuvre importante du Siècle d’or espagnol en pleine Seine-et-Marne est liée à la personnalité du maréchal Soult, pilleur devant l’Éternel, qui avait amassé un véritable trésor lors des guerres napoléoniennes dans la péninsule ibérique. À ces redécouvertes inespérées, on peut aussi ajouter la réapparition miraculeuse de plusieurs œuvres de Jean-Baptiste Corot dans une cave à proximité de l’église de Rosny-sur-Seine, Une Fuite en Égypte qui languissait depuis près de trente ans et son retour, en mauvaise forme, d’une série d’expositions, accompagnée des quatorze stations d’un chemin de croix exécuté par le père de l’impressionnisme !

Enfin, l’œuvre qui devrait bientôt faire sensation, mais qui n’a pour l’heure pas encore été divulguée, est un Saint Dominique attribué à Zurbarán [voir p. 50]. Il a été redécouvert dans l’église de Saint-Ouen-l’Aumône à la surprise générale, à commencer par la commune qui ne se doutait pas qu’elle abritait pareille merveille. La prochaine pépite est peut-être à côté de chez vous : alors, ouvrez l’œil !

Les éditions Picard se sont lancées dans une entreprise titanesque : documenter et étudier l’ensemble des églises de Paris, depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. Le premier ouvrage de cette série, qui en compte quatre, met en lumière les XVIIe et XVIIIe siècles et laisse augurer le meilleur pour ce monument éditorial. Première synthèse des nombreuses monographies publiées au cours des dernières années, ce beau livre s’ouvre en effet sur de précieux essais éclairant le contexte historique, artistique et spirituel de ces deux siècles décisifs. La seconde partie se présente en revanche comme un répertoire qui étudie cent quarante lieux et brosse le paysage cultuel de la capitale à la fin de l’Ancien Régime.

Sous la direction de Mathieu Lours, Paris et ses églises du Grand Siècle aux Lumières, éditions Picard, 400 p., 59 €.

« Le baroque des Lumières. Chefs-d’œuvre des églises parisiennes au XVIIIe siècle »
Jusqu’au 16 juillet 2017. Petit Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-8e. Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h, 21 h le vendredi. Fermé le lundi. Tarifs : 11 et 8 €. Commissariat général : Christophe Leribault et Marie Monfort.
www.petitpalais.paris.fr

« Heures italiennes, Un voyage dans l’art italien, des Primitifs au Rococo »
Expositions à Amiens, Beauvais, Chantilly et Compiègne 14 expositions satellites dans les musées de Hauts-de-France, de mars à décembre 2017
www.heuresitaliennes.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°701 du 1 mai 2017, avec le titre suivant : Tableaux d’églises, un trésor près de chez vous

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