Liège l’ambitieuse

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 17 janvier 2017 - 1316 mots

En près de vingt ans, la physionomie de cette ancienne capitale a considérablement changé : interventions d’architectes internationaux et nouveaux lieux d’expositions côtoient un patrimoine exceptionnel. Autant de signaux d’une attractivité retrouvée.

Incontestablement, il se passe quelque chose à Liège. Depuis une décennie, pas une année ne s’écoule sans qu’un événement heureux ne vienne animer la vie de la capitale économique wallonne. Rénovation urbaine, modernisation d’établissements ou encore édifices à l’architecture spectaculaire : doucement mais sûrement la Cité ardente poursuit sa mue. Comme nombre de villes qui ont construit leur prospérité sur les industries lourdes au XIXe siècle, Liège tente de sortir de la sinistrose en misant sur la culture, et vise le désormais célèbre « effet Bilbao ».

La ville dispose d’ailleurs de tous les atouts pour se réinventer à travers les arts et la création, puisqu’elle possède une concentration étonnante d’institutions. Rares sont les communes de 200 000 âmes dotées d’un opéra royal, d’un orchestre philharmonique, d’un théâtre et de plusieurs musées de qualité. Ce dense réseau a été récemment rénové et revalorisé, tout comme le patrimoine bâti. Pourtant, si la ville abrite effectivement plus de 20 % des monuments protégés de Wallonie, ce patrimoine est souvent méconnu, la faute à un urbanisme longtemps décousu et aux immeubles ingrats de l’après-guerre, qui ont durablement altéré le paysage.

Progressivement, elle retrouve de sa superbe et dévoile ses trésors dont la densité s’explique par son passé prestigieux. Pour se familiariser avec cette histoire, une halte s’impose à l’Archéoforum, un site archéologique aménagé sous la place Saint-Lambert qui narre le destin de Liège et de sa cathédrale disparue.

Un destin prestigieux
Ville-carrefour au cœur de l’Europe, Liège se situe à une heure de train de Bruxelles et de Cologne, à un peu plus de deux heures de Paris et à quelques kilomètres de Maastricht. Cet emplacement stratégique lui a valu le rôle de tête de pont du Saint Empire romain germanique, assorti d’une certaine autonomie. Pendant plus de huit cents ans, elle a en effet été capitale d’un État souverain, la principauté de Liège (985-1789). « Liège a été une ville-État et la capitale d’une principauté ecclésiastique, ce qui lui a assuré une longue période de prospérité à partir du Moyen Âge », résume Jean-Pierre Hupkens, échevin de la Culture. « Du point de vue patrimonial, ce passé religieux se traduit dans les importants bâtiments qui subsistent mais aussi dans les collections de nos musées. »

Il suffit de se promener dans la vieille ville pour prendre la mesure de cet héritage. Plusieurs édifices insignes se distinguent, comme la cathédrale Saint-Paul et son trésor qui recèle d’inestimables chefs-d’œuvre, à l’instar du reliquaire de Charles le Téméraire. À quelques encablures à l’ouest, Saint-Barthélemy conserve une autre pépite : des fonts baptismaux du XIIe, un exemple rarissime d’orfèvrerie romane monumentale. La collégiale elle-même mérite le détour, car il s’agit de la doyenne des églises de la ville, ancienneté que sa récente restauration très colorée ne laisse pas deviner. Le cœur historique fait par ailleurs le bonheur des promeneurs grâce à ses édifices de caractère et à ses passages secrets. Les plus sportifs opteront pour la montagne de Bueren et ses 374 marches. Un escalier vertigineux qui mène au sommet de la citadelle d’où l’on peut embrasser la Cité ardente et ses alentours.

Une cité qui se réinvente
Depuis ce belvédère, la récente rénovation de la ville apparaît de manière éclatante. En effet, la physionomie de Liège a sensiblement évolué depuis l’an 2000. Parallèlement à la restauration des monuments et à la réhabilitation de nombreux sites culturels, la ville a parié sur une ambitieuse politique urbanistique. Cette dernière a une vocation double : améliorer le cadre de vie et imposer Liège comme vitrine de l’architecture contemporaine. L’impressionnante gare dessinée par Santiago Calatrava est symptomatique de cet objectif. « Elle est d’ailleurs le point de départ d’un nouvel axe urbain que nous sommes en train de développer, explique le bourgmestre Willy Demeyer ; un axe perpendiculaire à la Meuse, dont les quais ont été réaménagés, et qui va de la gare à la Médiacité, un centre commercial, audiovisuel et de loisirs conçu par Ron Arad. »

La multiplication des interventions d’architectes de renom et la nouvelle dynamique culturelle ont changé l’image de Liège. La population qui avait déserté la ville sinistrée dans le sillage de la désindustrialisation revient et, avec elle, des investisseurs et des acteurs culturels. L’énergie impulsée par de nombreux projets, dont le partenariat avec le Louvre, incite les galeries à s’implanter. Plusieurs maisons ont ouvert leurs portes, telle la prometteuse Galerie Quai4. La collaboration avec le Louvre a aussi ouvert la voie à d’autres partenariats : des collectionneurs privés ont d’ores et déjà manifesté leur intérêt pour organiser des événements à Liège, et la Boverie pourrait accueillir à l’automne « Europalia Indonésie ». Une première pour ce festival qui a toujours organisé ses expos à Bruxelles et un signal supplémentaire de l’attractivité retrouvée de Liège.

En savoir plus

Le Musée du Grand Curtius
Impossible de ne pas le remarquer tant sa silhouette puissante et colorée domine les bords de la Meuse. Ensemble architectural unique né de la réunion d’anciens hôtels particuliers, le Grand Curtius est l’écrin des riches collections municipales d’armes, de verre, d’archéologie et surtout d’arts religieux et décoratifs. Le département d’art mosan mérite tout particulièrement le détour pour son fonds exceptionnel de pièces d’orfèvrerie, d’ivoires, d’émaux et de sculptures du Moyen Âge au XXe siècle.

Le Musée de la vie wallonne
Depuis sa fondation au XIXe siècle, le Musée de la vie wallonne a connu différents emplacements, il jouit aujourd’hui d’un cadre privilégié au cœur du vieux Liège. Cet attachant musée d’ethnologie a en effet pris ses quartiers dans le couvent des frères mineurs. Au sein de ce site conventuel du XIIIe siècle, l’établissement retrace les modes de vie, les croyances, le folklore et les métiers en Wallonie à travers des collections variées. Rénové en 2008, il bénéficie d’une scénographie moderne.

La cité Miroir
Depuis 2014, Liège dispose d’un nouvel équipement culturel au positionnement humaniste et singulier : la Cité Miroir. Cet établissement est installé au sein des anciens Bains et thermes de la Sauvenière, un bâtiment moderniste conçu en 1938 par l’architecte Georges Dedoyard. Le majestueux site a été réhabilité et transformé en espace d’expositions et de spectacles à la tonalité clairement engagée et citoyenne, centrée notamment sur des problématiques liées à la mémoire et au dialogue des cultures.

Musée de la Boverie
Le Musée de la Boverie résume à lui seul les ambitions de Liège. Le Palais des beaux-arts bâti pour l’Exposition universelle de 1905 a été restauré et augmenté d’une aile moderne conçue par Rudy Ricciotti. Cette extension entièrement vitrée ouvre largement le bâtiment sur la ville et a permis de le doter d’espaces d’expositions temporaires suffisamment vastes pour accueillir des événements d’envergure internationale. Pour mettre en place une stratégie offensive de programmation culturelle, le musée s’est octroyé les services du Louvre qui assure pendant trois ans une mission de conseil consistant à superviser le concept muséographique et l’organisation d’expositions. Outre ces rendez-vous, la Boverie est avant tout le siège des collections municipales de beaux-arts. L’intéressant fonds de peinture a été redéployé et donne enfin la place qu’ils méritent aux artistes du cru comme Lambert Lombard ou le paysagiste Closson, ainsi qu’aux collections modernes, dont les tableaux issus de la vente de Lucerne, tandis qu’une galerie noire dévoile les pépites de la collection d’art graphique.

La Tour cybernétique
Après plus de quarante ans de silence et d’inactivité, la Tour cybernétique a repris du service, la sculpture abstraite de 52 mètres de Nicolas Schöffer venant enfin d’être restaurée. Cette installation hors du commun se compose d’une ossature en tubes d’acier munie de pales de formes et de dimensions variées, actionnées par un cerveau électronique en fonction de paramètres environnementaux. Elle propose à nouveau son ballet visionnaire de sons et de lumière, typique des utopies des années 1960.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°698 du 1 février 2017, avec le titre suivant : Liège l’ambitieuse

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