Mécénat

Aux donateurs les musées reconnaissants

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 13 décembre 2016 - 774 mots

Il est loin le temps où le secteur public snobait parfois les dons privés. Faute de budgets d’acquisition suffisants, les musées n’ont aujourd’hui plus le choix.

A l’occasion de son dixième anniversaire, le Musée du quai Branly-Jacques Chirac rend hommage à ses grands donateurs dans un catalogue richement illustré : Jean-Paul Barbier-Mueller, Thérèse Jacoulet-Inagaki, Hélène et Philippe Leloup, Françoise et Alain de Monbrison… « Nombreux sont les donateurs à s’être retrouvés dans la volonté du président Chirac et du collectionneur Jacques Kerchache d’offrir aux arts et civilisations non occidentales une visibilité digne du génie artistique universel qui préside à toute création. Leur rencontre illustre la précieuse complémentarité de la force publique et des collectionneurs qui, grâce à leur audace, permettent de réunir les plus surprenants trésors », a remercié Stéphane Martin, à la tête du Musée du quai Branly.

En octobre, François Hollande remettait les insignes de commandeur de la Légion d’honneur à Marlene et Spencer Hays, un couple de collectionneurs américains qui a fait don de 600 œuvres, d’une valeur de 350 millions d’euros, au Musée d’Orsay. Dans un premier temps, 187 œuvres dont 69 du groupe des Nabis ont été léguées, celles qui avaient été présentées au printemps 2013 à Orsay dans le cadre de l’exposition « Une passion française ». Depuis, Guy Cogeval, le président du musée, n’avait eu de cesse de convaincre le couple d’effectuer ce geste de philanthropie.

Pour que ces Vuillard, Bonnard, Redon, Maillol, Derain, Modigliani et Denis entrent dans les collections nationales, Guy Cogeval va déménager la bibliothèque et la documentation du musée dans un hôtel particulier voisin, afin d’accorder tout l’espace nécessaire à la collection, laquelle ira dans sa totalité à Orsay au décès des Hays. En attendant, les visiteurs peuvent découvrir depuis fin novembre une autre donation, celle de Jean-Pierre Marcie-Rivière, amateur d’art et philanthrope décédé en janvier 2016. Le musée n’a pas traîné pour exposer ses 50 peintures et pastels ainsi que ses 90 dessins, de Bonnard et Vuillard.

Tapis rouge
Autres temps, autres mœurs. Dans le passé, de nombreux projets de donations ou de fondations d’art contemporain n’ont jamais abouti faute d’implication du secteur public : le collectionneur allemand Frieder Burda, désireux d’implanter sa fondation à Mougins, dans les Alpes-Maritimes, a été découragé par les réticences municipales et a préféré Baden-Baden en Allemagne ; le photographe Helmut Newton a choisi d’ouvrir une fondation à Berlin alors qu’il souhaitait initialement céder une part de ses œuvres à la France…

En 2012, l’État récupérait in extremis la donation du galeriste Yvon Lambert. Les conditions posées par ce dernier, pourtant assez classiques, avaient en effet été refusées dans un premier temps par la direction des Musées de France : la collection devait porter son nom et un directeur artistique choisi par lui assurer la programmation d’expositions temporaires, aux côtés d’un conservateur du patrimoine nommé par l’administration. Aujourd’hui, la collection Lambert est devenue une institution culturelle majeure pour Avignon, après l’engagement pris au plus haut niveau de financer l’extension de l’hôtel de Caumont pour offrir un écrin à ces 450 œuvres d’artistes contemporains internationaux (Twombly, Kiefer, Basquiat, Goldin, Barceló…) et français (Boltanski, Lavier, Lévêque…) estimées par Christie’s à 100 millions d’euros, soit l’équivalent de 40 années de crédits d’acquisition du Centre Pompidou !

« Les enrichissements les plus spectaculaires des collections nationales proviennent depuis plusieurs décennies des dations et donations », observe Guillaume Cerutti, ex-numéro deux du Centre Pompidou, ex-directeur de cabinet du ministre de la Culture, aujourd’hui président pour l’Europe et le Moyen-Orient de Christie’s, dans son livre La Politique culturelle, enjeu du XXIe siècle. Les musées ne ménagent pas leurs efforts pour séduire les collectionneurs de tous les pays, multipliant les American Friends, Chinese Friends et autres Middle East Friends, à la manière de ce que font déjà leurs homologues anglo-saxons comme la Tate à Londres. Beaubourg a ainsi décroché le don initié par l’oligarque russe Vladimir Potanine : 250 œuvres d’art communiste et russe de 1950 à 2000 éclairant la vitalité artistique d’un pays coupé du monde jusqu’à la fin du XXe siècle.

« Plus que jamais, l’avenir des collections publiques passe par le développement des collections privées », estime même Guillaume Cerutti. Car les budgets publics alloués sont sans commune mesure avec l’envolée des prix des chefs-d’œuvre sur le marché de l’art, alimentée par la prolifération de musées privés dans le monde : les crédits d’acquisition inscrits au budget du ministère de la Culture et de ses établissements publics tels que le Louvre, Beaubourg ou Orsay sont inférieurs à 25 millions d’euros par an, loin des records atteints en vente aux enchères pour un seul des tableaux des artistes aujourd’hui les plus recherchés. 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°697 du 1 janvier 2017, avec le titre suivant : Aux donateurs les musées reconnaissants

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