Disparition

Rosamond Bernier, la fondatrice de L’Œil, nous a quittés

Par Jean-Christophe Castelain · L'ŒIL

Le 12 décembre 2016 - 672 mots

Rosamond Bernier est décédée à New York le 9 novembre 2016 à l’âge de 100 ans. Elle avait créé en 1955, avec son mari Georges Bernier, la revue L’Œil, avant d’entamer une formidable carrière de conférencière.

Rosamond Margaret Rosenbaum vivait à New York depuis son retour de France en 1968. Nous l’avions rencontrée en 2004, avec son troisième mari John Russell, dans son appartement de l’Upper East Side, non loin du Metropolitan Museum. S’exprimant dans un français parfait, elle nous avait longuement raconté sa vie et les premières années de L’Œil.

Passant rapidement sur ses années de jeunesse aux États-Unis, comme pour faire oublier son âge (elle était née en 1916) et son premier mariage, elle se plaisait à décrire sa vie à Paris où elle devint, en 1946, la correspondante du magazine Vogue : « Je suis arrivée comme une fleur, mais née d’une mère anglaise, élevée par une gouvernante française et ayant vécu au Mexique, je baignais déjà dans une ambiance internationale. » Elle écrit plusieurs articles sur les plus grands artistes de l’époque (Picasso, Matisse, Léger, Giacometti) avec qui elle noue des amitiés précieuses. Puis, elle rencontre « Bernier » – c’est ainsi que Rosamond le désignait – au bar du Pont Royal vers 1948 ou 1949 : « Il était alors journaliste sans emploi ayant quitté Le Parisien. Nous nous sommes mariés fin 1949. Bernier avait un fils, Olivier, que j’ai élevé et qui vit aujourd’hui à New York. »

Puis vient l’aventure de L’Œil : « Vogue se consacrait surtout à la mode. J’étais plutôt attirée par les arts. J’ai alors eu envie de créer une revue d’art […]. Je voulais faire une revue abordable. Je voulais qu’on lise L’Œil dans le métro. Le prix de 200 F était très bas. Comme Américaine, je savais l’importance de l’image. À l’époque, l’art était sacro-saint, mais je voulais le traiter sous une forme journalistique. Par exemple, j’ai tenu à publier la photo de la table de chevet de Giacometti – ce qui ne se faisait jamais. »

Rosamond Bernier se plaît à narrer comment ses amis artistes les ont aidés au lancement de la revue en 1955. Ainsi Picasso : « Sachant que je voulais créer une revue d’art, il m’a offert pour le premier numéro un sujet en or : la possibilité de rencontrer ses sœurs à Barcelone et, surtout, de voir ses œuvres de jeunesse jamais montrées. » Fernand Léger, « communiste mais sympathique », participe activement à la promotion du titre : « Le premier jour de vente, il est venu nous voir à Paris et nous a affirmé avoir fait le tour de onze kiosques ; il me disait – c’est comme cela que l’on crée la demande. Le soir, nous sommes allés dîner chez lui à Gif-sur-Yvette. Il m’a offert une de ses gouaches ». Tout l’inverse d’Alberto Giacometti : « Il était extrêmement timide. Il m’a supplié de ne pas écrire sur lui dans le premier numéro de L’Œil parce qu’il pensait que cela allait faire couler la revue ! »
Son aventure avec L’Œil dure jusqu’en 1968, date de sa séparation brutale avec Georges Bernier et de son retour aux États-Unis. Commence alors une extraordinaire carrière de conférencière en histoire de l’art dans les plus grands musées américains. Sa connaissance intime des artistes lui permettait d’émailler ses cours de réflexions personnelles telles que celle qu’elle nous avait rapportée sur André Breton qui devait écrire un article sur Picabia. « Mais le temps passait et je ne voyais rien arriver. Je suis donc allée le voir, et là il m’annonce qu’il n’a rien pu écrire depuis deux semaines, car on… lui avait offert un objet maléfique. » Ou Picasso : « J’ai toujours fait très attention avec Picasso. Il avait un côté un peu satanique. Il m’appréciait, je crois, car je parlais espagnol. »

En 1975, Rosamond Bernier épouse John Russell, qui devint un important critique d’art du New York Times. Il est décédé en 2008, huit ans avant la disparition de Rosamond. 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°697 du 1 janvier 2017, avec le titre suivant : Rosamond Bernier, la fondatrice de <em>L’Œil</em>, nous a quittés

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