Bande dessinée

Tomi Ungerer sains dessins

Par Gérald Guerlais · L'ŒIL

Le 22 novembre 2016 - 416 mots

CLASSIQUE - Ungerer bande encore l’arc avec lequel ses crayons fléchés font mouche.

Rien de moins qu’un authentique géant qui, de son vivant, peut arpenter un musée consacré à son œuvre dans sa ville natale, Strasbourg, en ayant le vertige. Grandir dans une famille puritaine, dans une cité frontalière de l’Allemagne pendant la guerre, aide à dépasser les bornes, les clichés et les a priori. Pour Ungerer, le Weltbürger (« citoyen du monde »), ce caméléon pluridisciplinaire indiscipliné, la formation sera la France à vélo en 1946, la Laponie et le cap Nord en 1951, le corps des méharistes en Algérie en 1952 avant d’être réformé en 1953, puis le renvoi des Arts décoratifs pour indiscipline et la marine marchande pour visiter l’Islande, la Norvège, la Grèce et la Yougoslavie. Une vie romanesque pour l’insuffler avec pertinence à ses futurs héros imaginaires et intrépides.

Vient l’ascension professionnelle fulgurante, à New York, où il pose son carton à dessin en 1956 et où son talent s’épanouit. Chez Harper & Row, il illustre quatre-vingts livres pour enfants en dix ans (Les Trois Brigands, Jean de la Lune, Le Géant de Zéralda, etc.). Côté presse, le succès est immédiat dans le New York Times, Esquire, Life, Show, Fortune, Harper’s et Holiday. En amont, notoriété instantanée de ses affiches contre la guerre du Viêtnam. Une vie aussi contrastée que ses dessins à l’encre, à la plume ou au lavis. D’abord incisif, puis gagnant en souplesse et rondeur, son style s’efface derrière la poésie qu’il rapporte, une justesse de ton qui convoque le bon trait. Comme une réplique visuelle.

Aucun illustrateur n’a à ce jour cumulé autant de casquettes et de prix, dont le prix Hans Christian Andersen, la plus haute distinction pour un auteur de livres pour enfants. Le politiquement correct et la frilosité éditoriale ont, depuis les débuts de l’artiste, gagné du terrain et entraveraient aujourd’hui la possibilité d’une telle carrière, audacieuse, insoumise et déterritorialisée. Car plus qu’un style, Ungerer est un tempérament, résolument frondeur, intègre et résilient. Las de l’hypocrisie et de la superficialité de la société new-yorkaise des années 1970, il est parti pour la Nouvelle-Écosse puis l’Irlande qu’il n’a plus quittée depuis. Il y a déployé d’autres facettes de son talent : la satire et les ouvrages érotiques. Entre autres. Malgré le temps écoulé, la pertinence et l’acuité de son regard continuent de vous saisir. Un esprit libre devenu classique, à consulter sans modération. Pour ses successeurs, un phare qui éclaire les sentiers oubliés de l’impertinence.

A lire

Tomi Ungerer, Pensées secrètes, Les Cahiers dessinés, 176 p., 20 €

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°696 du 1 décembre 2016, avec le titre suivant : Tomi Ungerer sains dessins

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