Le vélo de Mathieu Mercier

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 28 septembre 2016 - 725 mots

FÉTICHE - « Le vélo fait partie de mon existence, c’est devenu une prolongation de moi-même », explique Mathieu Mercier, intarissable sur le sujet : «On m’a offert mon premier vélo lorsque j’avais cinq ou six ans et, depuis, je n’ai jamais abandonné ce formidable moyen de locomotion. Il m’a permis de sortir de l’enfance et m’aide aujourd’hui à y rester.»

Le plasticien ajoute : « Adolescent, je connaissais déjà tout de l’engin. Depuis, en toute autonomie, je n’ai cessé de bricoler des vélos, de les monter et de les démonter. En fait, c’est un des derniers objets du quotidien dont on perçoit entièrement le fonctionnement : on a visuellement accès aux rotations des roues, au pédalier, à la démultiplication entre le grand plateau et le pignon, au déroulé de la chaîne… Les seules choses invisibles sont les roulements à billes de la colonne de direction, du boîtier du pédalier et des moyeux. Et, bien sûr, l’air dans les chambres à air ! Par comparaison, les smartphones restent un mystère. » Détourner la fonction utilitaire d’un appareil, matériau ou ustensile trouvé au BHV ou dans les rayons du supermarché, et le présenter sous un angle purement esthétique pour en modifier sensiblement l’appréhension, constitue un des modes opératoires de l’artiste. Pour preuve ses tableaux « mondrianesques » réalisés avec de fines étagères noires et des éléments ménagers en plastique bleu, rouge et jaune répartis selon le mode géométrique propre au peintre hollandais, ou encore ses masques présentés sous vitrine comme des reliques d’un rituel primitif, en fait des casques usés de joueurs de base-ball américains. Surprise : la fameuse roue de bicyclette que Marcel Duchamp avait fixée sur un tabouret n’emporte pas son adhésion. Il préfère l’urinoir ou le porte-bouteilles, plus radicaux : « Le vélo, pour moi, est concrètement synonyme de mobilité. N’ayant pas le permis de conduire, je ne peux m’en passer. » Il lui trouve toute les qualités : « Il n’y a pas de paperasse à remplir pour monter sur un vélo, on se sort de toutes les situations et, dans le trafic, on tire son épingle du jeu rapidement. Si on regarde bien, c’est le moyen le plus performant entre l’énergie déployée et le résultat obtenu ! » Et d’ajouter : « Et puis, le vélo permet de traverser le réel en silence… Et j’adore le silence. Un seul bémol : à Paris, les poumons des cyclistes servent d’éponges. On devrait les indemniser en tant que premiers filtres antipollution ! » De fait, Mathieu Mercier possède plusieurs vélos : celui de tous les jours est un pliable anglais « super bien conçu et facile à transporter en train ou dans un coffre ». Il utilise également, quotidiennement, un triporteur : « Je m’en sers comme d’un utilitaire ; j’y transporte ma fille et ses amies, mais aussi mes outils. J’y ai déjà installé plus de 150 kg de matériel et une exposition entière. » Son œil d’esthète a aussi craqué pour un vieux vélo danois à l’architecture « eiffelienne » : « On y est assis assez haut sur une sangle qui sert de selle et on a l’impression d’être sur un cheval. Mais il est de toute beauté, c’est une véritable sculpture. Disons que c’est mon vélo d’apparat. Je le sors pour les mariages ! » Prix Marcel Duchamp en 2003, Mathieu Mercier a plusieurs fois exposé au Japon. Mais il en est revenu sans bicyclette : « Je pensais que leur culture du pliage leur aurait inspiré des vélos pliables extraordinaires. Mais non. J’ai donc profité de mon séjour pour en dessiner un qu’il me faudra construire un jour. » En écho à Duchamp, Brancusi et Léger tombés en pâmoison devant une hélice d’avion au salon de l’aéronautique de 1912, Mathieu Mercier déclare : « Le vélo est une magnifique composition de triangles et de cercles en mouvement…
un véritable Picabia. » Il aime changer les rapports entre les choses et remettre en question le réel. On s’étonne : il n’a créé qu’une seule installation avec son objet fétiche posé contre une colonne en Corian® sur laquelle est imprimé par sublimation un motif urbain, le tag d’une trajectoire sur trois cercles, jaune, magenta et cyan. En fait, pour Mathieu Mercier, le vélo semble appartenir au domaine de l’intime. Il y associe l’idée de liberté et de légèreté. Et d’évoquer les chansons d’Yves Montand, de Joe Dassin, de Syd Barrett ou le concerto pour bicyclette de Frank Zappa… Le vélo ? :
« Un moyen d’échapper à la ville tout en la parcourant et d’échapper au milieu de l’art tout en y étant présent. »

L’esprit du Bauhaus, l’objet en question

Mathieu Mercier est co-commissaire, pour la partie contemporaine de l’exposition « L’esprit du Bauhaus, l’objet en question », du 19 octobre au 26 février 2017. Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris-1er. Du mardi au dimanche de 11h à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h. Tarifs : 11 et 8,50 euros. www.lesartsdecoratifs.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°694 du 1 octobre 2016, avec le titre suivant : Le vélo de Mathieu Mercier

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