Justice

Clap de fin pour l’affaire du mime Marceau

Par Éléonore Thery · L'ŒIL

Le 26 septembre 2016 - 813 mots

Le 6 septembre, les juges ont rendu leur décision dans le procès dit « des cols rouges ». Un procès dont l’affaire du mime Marceau offre un aperçu emblématique.

Nous sommes satisfaites. Le plus important pour nous est la reconnaissance de notre qualité de victime. En témoignant, nous avons redonné de la dignité à notre père et à son patrimoine artistique unique. » C’est en ces termes que s’est exprimée Camille Marceau, fille du mime Marceau, au lendemain du délibéré du procès dit « des cols rouges ». La décision du tribunal correctionnel de Paris, rendue le 6 septembre, est l’un des ultimes épisodes de la saga judiciaire mettant en cause les pratiques des anciens manutentionnaires de Drouot. Dans cette affaire, cinquante prévenus, dont quarante-trois commissionnaires et quatre commissaires-priseurs, étaient mis en examen des chefs de vol en bande organisée, recel de vol en bande organisée et association de malfaiteurs.

Au cœur du procès, les usages des « cols rouges » qui avaient pris l’habitude de soustraire divers objets lors des enlèvements ou des ventes aux enchères, pour les revendre à Drouot par la suite. Plusieurs tonnes d’objets étaient concernées, de la simple fourchette en argent à des meubles Eileen Gray revendus près d’un million d’euros, en passant par des costumes de scène du mime Marceau. Du « vol » pour la procureure, de la « récupération » d’objets abandonnés pour les avocats de la défense. Assez fidèles aux réquisitions de la procureure, les juges ont prononcé des peines de prison allant de six mois à trois ans, dont dix-huit mois ferme et des amendes jusqu’à 60 000 euros pour trente-six des « cols rouges ». Deux commissaires-priseurs et un gérant d’OVV ont quant à eux écopé de douze à dix-huit mois de prison avec sursis et d’amendes jusqu’à 30 000 euros.

Garder en souvenir
Dans l’affaire du mime Marceau, emblématique du procès, tout commence au printemps 2008. Près de six mois après la mort de l’artiste, le tribunal de commerce de Paris mandate maître Tessier pour procéder à la vente judiciaire de ses biens afin d’apurer ses dettes. En juillet, les « cols rouges » procèdent à l’enlèvement des centaines d’objets ou œuvres d’art et effets personnels de sa maison de Berchères-sur-Vesgres. « C’était une vraie foire d’empoigne : des appliques ont été arrachées, une statue de Bouddha a été décrochée de son socle où il restait un morceau de pied », déplorent Camille et Aurélia Marceau.

Les 26 et 27 mai 2009, sont organisées deux ventes cataloguées. Le produit atteint 559 000 euros, et une vingtaine de lots sont préemptés, notamment par la BNF. Une vente courante suivra en novembre. Les filles du mime Marceau racontent : « Alors que maître Tessier nous avait indiqué plusieurs mois auparavant que nous allions avoir à faire à “la crème de la crème, les cols rouges dont le savoir-faire fait le prestige de Drouot”, il nous a dit après la vente : “Je suis content, ça s’est bien passé, j’avais dit aux cols rouges d’y aller mollo sur la fauche”. » Par la suite, les filles Marceau signalent la disparition de dizaines de pièces : costumes de scène, photographies, livres dédicacés, œuvres d’art… et indiquent que les inventaires sont incomplets.

En 2010, alors que l’affaire des « cols rouges » a éclaté, l’OCBC (Office central de lutte contre le trafic de biens culturels), saisi du dossier, retrouve une grande partie de ces biens dans les containers des « cols rouges » à Bagnolet. Interrogé par les inspecteurs, l’un d’entre eux indique alors : « Le chef nous l’a joué à la Belmondo », un autre précise : « Quand j’ai vu tous ces vêtements du mime, je les ai pris pour me faire un souvenir. » Les inspecteurs notent en parallèle : « L’inventaire présente de nombreux points faibles avérés. C’est très certainement à cause de ceux-ci que les commissionnaires ont pu sévir sans attirer l’attention. »

Durant l’audience, des explications rocambolesques sont apportées. Aux juges, les commissionnaires répondent : « Les costumes sont tombés d’un meuble », « Les ballerines de scène sont sorties d’un bidet ». Un autre concède : « J’ai honte pour les habits du mime », quand un dernier avoue que la vente a été « un massacre ». Quelques jours plus tard, les filles de Marcel Marceau, parmi les parties civiles, racontent leur histoire à la barre. Durant leurs plaidoiries, les avocats de la défense mettent notamment en avant la faible valeur marchande des lots litigieux, soulignent les changements dans la représentation de la succession, et tentent encore de démontrer que les lots, des « choses abandonnées », ont été « récupérés ». Ces arguments n’ont semble-t-il pas fait mouche auprès des juges, qui ont à la fois prononcé des peines sévères à l’encontre des « cols rouges », et, sur le plan civil, accordé 15 000 euros et 8 000 euros au titre du préjudice matériel et moral de chacune des deux filles Marceau. Maître Autain, avocat de l’un des commissionnaires incriminés, dénonce un délibéré « sévère », ajoutant : « On a pris quelques têtes d’affiche, on les montre au peuple et voilà. Mais il n’y a pas de vrai règlement des questions de fond. »

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°694 du 1 octobre 2016, avec le titre suivant : Clap de fin pour l’affaire du mime Marceau

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