Le chevalet de Clément Cogitore

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 27 juin 2016 - 670 mots

Fétiche Nommer son objet fétiche paraît une évidence pour Clément Cogitore. Il s’agit d’un chevalet de peintre. Tiens donc ! Plutôt inattendu de la part d’un talent tôt repéré, mais qui s’exprime via des installations vidéo, des photos et des films, et qui poursuit avec succès une double carrière de cinéaste et d’artiste plasticien, entrecroisant volontiers ces divers modes d’expression. Saluée aussi bien pour ses images fixes aux thématiques envoûtantes, oscillant entre réalité et rêves, que pour ses vidéos et films aux résonances métaphysiques, l’œuvre de Cogitore interpelle le spectateur. Son dernier film, Ni le ciel, ni la terre, qui raconte l’histoire captivante de soldats disparaissant mystérieusement dans le désert à la frontière du Pakistan en proposant des images inédites grâce à des caméras thermiques et à des viseurs de fusils infrarouges, a été nommé aux Césars dans la catégorie du premier long métrage. Donc, un chevalet : « Il m’a été offert quand j’avais 15 ans par un peintre et marionnettiste allemand du nom de Björn Fühler qui vivait près de chez nous, dans la vallée de Kaysersberg, dans les Vosges, non loin du lieu où se trouve le retable d’Issenheim du peintre Mathias Grünewald, un chef-d’œuvre de la peinture du XVe siècle.

À ses débuts, Fühler réalisait une peinture proche des expressionnistes allemands, influencée par Dix, Kirchner ou Klee. En me donnant cet objet symbolique, il a voulu m’encourager car j’ai dessiné, peint et écrit très tôt. Il m’a aussi appris à regarder les œuvres. » Un héritage qui suit Cogitore dans tous ses déménagements, d’abord à Strasbourg où il a fait ses études à l’École supérieure des arts décoratifs, ensuite à Tourcoing où il a passé deux années au Fresnoy, puis à la Villa Médicis où il a été pensionnaire en 2012 et 2013 et maintenant à Paris où il vient de s’installer. Il précise : « Il s’agit d’un chevalet classique, en bois, type XIXe siècle, mais tout bariolé de peinture séchée. Je m’en suis beaucoup servi au début de mes études d’art, puis, progressivement, j’ai abandonné la peinture. Aujourd’hui, je l’utilise comme présentoir. J’y pose, par exemple, des fiches de comédiens, des images de montage, divers documents… » Ironie du destin, Cogitore habite maintenant un atelier-logement de la Ville de Paris, dans le 18e arrondissement, en lieu et place des anciens ateliers de Paul Cézanne, Paul Signac, Eugène Carrière.

Le chevalet fétiche retrouve sa place naturelle sous une verrière tournée vers le nord. La peinture comme point d’ancrage : « Mes dernières séries de photographies grand format Digital Desert, représentent des uniformes militaires disposés dans des paysages désertiques caillouteux et font directement référence aux peintures de Fautrier et à sa série des Otages. À ceci près que les pixels remplacent les touches. De toute façon, la plasticité de l’image numérique et la dramaturgie d’un récit convoquent la peinture. » Suggérer cette continuité, tel est le propos de Cogitore : « Prenons, par exemple, la peinture byzantine qui fonctionne par signes.

Or le cinéma est aussi une construction de signes. Les éléments de son vocabulaire, comme ceux de la peinture figurative appartiennent au monde visible. Mais l’image n’est pas une réalité en soi, elle sert d’intercesseur avec une autre réalité, invisible celle-ci. » Et c’est cette dimension intemporelle et universelle qu’interroge l’artiste. Mais pourquoi a-t-il abandonné la peinture ? : « Je me trouvais maladroit de mes doigts et je ne ressentais pas le besoin de prendre l’œuvre à bras-le-corps. » Il remarque cependant qu’être cinéaste passe aussi par le contact physique : « Quand on met en scène, on touche beaucoup les choses, on se sert de ses mains, on indique une position aux acteurs, on déplace un objet, on montre une direction… » Il revient sur l’idée de lien indicible : « En France, on pense qu’il n’y a rien de neuf qui ne se crée sans faire table rase du passé. C’est une illusion. Si des artiste comme Douglas Gordon, Philippe Parreno ou Pierre Huyghe ont considérablement élargi le dialogue entre art et cinéma, ma génération, elle, questionne la nécessité du récit. » Et quoi de mieux pour porter cette idée de transmission qu’un chevalet de peintre ? 

« Clément Cogitore, L’intervalle de résonance » du 11 juillet au 11 septembre 2016. Palais de Tokyo, 13, avenue du Président Wilson, Paris-16e. Tous les jours de 12h à minuit, fermé le mardi. Tarifs”‰: 10 et 8€. www.palaisdetokyo.com
« 18e Prix Fondation d’entreprise Ricard » du 6 septembre au 29 octobre 2016. Fondation Ricard, 12, rue Boissy d’Anglas, Paris-8e. Ouvert du mardi au samedi de 11h à 19h. Entrée libre. www.fondation-entreprise-ricard.com
« Carte blanche à Clément Cogitore » le 12 juillet à partir de 19h. Silencio, 142, rue Montmartre, Paris-2e.
« Hypothesis » DVD Monographic publication, texte de Philippe-Alain Michaud, Ecart production.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°692 du 1 juillet 2016, avec le titre suivant : Le chevalet de Clément Cogitore

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