Art moderne

L’École de Pont-Aven

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 27 juin 2016 - 975 mots

Le Musée de Pont-Aven a rouvert ses portes tandis que le marché de l’École du même nom intéresse de plus en plus les collectionneurs.

BRETAGNE Après trois ans de travaux, le Musée de Pont-Aven a rouvert ses portes au printemps 2016. Voilà qui devrait réjouir les amateurs de cette école de peinture constituée autour de Paul Gauguin et d’Émile Bernard, dont l’influence s’exerça entre 1888 et 1895 environ. « Je voulais tout oser, libérer en quelque sorte la nouvelle génération », confiera plus tard Paul Gauguin à Maurice Denis. Car à la suite du maître qui bientôt embarquera pour la Polynésie, des artistes ont délaissé les mondanités parisiennes pour retrouver dans une terre plus sauvage, à ses côtés, racines et formes primitives. Une nouvelle peinture voit ainsi le jour. Elle se caractérise par des aplats de couleur, ceints de lignes noires – ce qu’on appelle le « cloisonnisme » –, et des sujets exprimant le rapport très fort de l’homme à la terre, dans une nature sublimée. « J’aime la Bretagne. J’y trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j’entends le ton sourd, mat et puissant que je cherche en peinture », confie Gauguin à sa femme en 1888.

Aujourd’hui, les toiles de ces disciples de Gauguin semblent de plus en plus convoitées par les collectionneurs. À Vannes, la Galerie Doyen, spécialisée depuis 1989 dans l’art post-impressionniste en Bretagne, a décidé de doubler l’espace octroyé à cette école – « sans doute la plus intéressante pour la qualité de ses œuvres », explique son directeur Yannick Doyen. À Brest, l’étude Thierry-Lannon y a consacré une vente le 7 mai dernier, et Christie’s a dispersé, en mars 2016, la collection de l’un des plus importants amateurs des peintres de Pont-Aven, Samuel Josefowitz. « Le marché est étroit mais international et très vivant. Il prend en outre de l’importance depuis deux ans, notamment grâce à l’intérêt qu’y porte le Musée d’Orsay, dirigé par Guy Cogeval, spécialiste de l’art nabi, très lié à l’École de Pont-Aven », observe Anika Guntrum, directrice internationale de l’art impressionniste et moderne chez Christie’s. Si bien que si l’on peut négocier des œuvres de « petits maîtres » de Pont-Aven – Charles Laval, Jan Verkade, Charles Filiger, Maxime Maufra, Henry Moret ou Georges Lacombe – autour de quelques milliers d’euros, certaines de leurs toiles peuvent aujourd’hui atteindre 300 000 €… voire plus.

Charles Filiger
Arrivé à Pont-Aven en 1888, Filiger puise son inspiration dans les formes byzantines en même temps que dans l’art populaire breton. Si la plupart de ses gouaches figurent des scènes de la vie de Jésus, celle-ci met en scène un berger breton. Estimée entre 20 000 et 30 000 € par Christie’s, cette peinture évoquant l’art du vitrail a finalement vu ses enchères atteindre… 349 500 €. Un record pour une œuvre de l’artiste aux enchères. « La plupart des sujets de Filiger sont religieux. Ici, il s’agit d’un petit format, mais d’une grande rareté, dans un secteur où les collectionneurs sont passionnés », explique Anika Guntrum.

Charles Laval
Peu connu, le peintre fut l’un des premiers artistes à rejoindre Gauguin à Pont-Aven, et il accompagna le maître en Martinique, où un musée leur est aujourd’hui consacré. Cette peinture de Charles Laval sur carton fin témoigne de l’influence de Van Gogh dont il fut l’ami. Elle avait déjà été proposée aux enchères par Christie’s en 2007… sans trouver preneur. Elle était alors estimée entre 60 000 et 80 000 €. En 2016, elle a été vendue chez Christie’s à Paris 235 000 €. « Sans doute a-t-elle été valorisée dans le cadre de la vente de la collection Josefowitz. Mais elle témoigne aussi d’un essor nouveau de ce secteur », observe Anika Guntrum, experte de la vente.

Paul Sérusier
Des Bretonnes profondément enracinées dans leur terre, des couleurs en aplat cernées d’un trait noir… Cette Lessive au grand pré, petit format peint en 1892, exposé au Musée de Pont-Aven en 1995, est caractéristique du mouvement. C’est Gauguin qui a encouragé Paul Sérusier, arrivé dans la région en 1888, à utiliser des couleurs pures, pour mieux sublimer la nature. Ce dernier peint alors Le Talisman, aujourd’hui au Musée d’Orsay. Autour de lui, se constitue bientôt le mouvement nabi, pour lequel un tableau est « essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées », théorisera Maurice Denis.

Henry Moret
D’Henry Moret, qui arrive à Pont-Aven en 1888, on connaît surtout les paysages marins, dans une veine post-impressionniste. Et pour cause : « À partir de 1890, il travaille sous contrat avec la Galerie Durand-Ruel… Or celui-ci s’intéresse surtout à l’impressionnisme et aux paysages marins », remarque le galeriste Yannick Doyen. Dans ce rare paysage de campagne, peint en 1891, le peintre s’inscrit dans l’esthétique de l’École de Pont-Aven en cernant les couleurs, posées en touches serrées. Depuis quelques années, l’artiste éveille un intérêt croissant chez les collectionneurs et sa cote s’est envolée.

Question à Yannick Doyen galeriste

Quel est le profil des collectionneurs ?
Le public est assez étroit, mais les collectionneurs viennent aussi bien de France que des États-Unis. Ils sont généralement spécialisés à la fois dans l’École de Pont-Aven et le mouvement nabi, qui en est une émanation et constitue en quelque sorte sa forme urbaine.

Quelles sont les œuvres les plus recherchées ?
Les œuvres de la plupart des artistes qui ont travaillé dans la mouvance de Gauguin valent très cher, quand elles correspondent à la période où l’influence de celui-ci est manifeste… Une toile réalisée en 1892 par Sérusier, dont Le Talisman est exposé à Orsay, a ainsi été adjugée chez Sotheby’s à New York en mai 1 200 000 dollars ! Cependant, les goûts des collectionneurs de l’École de Pont-Aven sont très divers : certains ont par exemple une véritable passion pour des peintres assez peu connus du grand public, comme Charles Filiger, qui a développé une veine plus mystique au sein du mouvement… Et Henry Moret connaît actuellement un succès croissant.

Galerie Doyen, 4, rue de la Bienfaisance, Vannes (56), www.galerie-doyen.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°692 du 1 juillet 2016, avec le titre suivant : L’École de Pont-Aven

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