Architecture

Au Portugal, sur la route de l’architecture

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 24 juin 2016 - 1837 mots

PORTUGAL

Le Portugal, qui compte deux Pritzker Prizes, soit autant que la France, l’Allemagne, l’Italie ou le Brésil, a produit une flopée de bâtiments à la contemporanéité affirmée. En regard de l’exposition « Les Universalistes », à la Cité de l’architecture et du patrimoine, l’été est une bonne occasion d’aller découvrir, de Lisbonne à Porto, quelques-unes des pièces maîtresses de cette esthétique lusitanienne.

Première étape de ce road-trip architectural au Portugal, « petit » pays d’un peu plus de dix millions d’habitants : sa capitale Lisbonne. Une fois n’est pas coutume, autant entrer dans le sujet de manière frontale ou plus exactement « brutale », à travers ce style dit « brutaliste » en vogue dans les années 1960. À deux pas de la place Marquês de Pombal, ainsi en est-il de l’Igreja do Sagrado Coração de Jesus (rua Camilo Castelo Branco, 4), curieuse église construite entre 1964 et 1974 par Nuno Portas et Nuno Teotónio Pereira avec un matériau « pauvre », la brique de ciment. Fabriquées in situ, celles-ci sont devenues des motifs, dessinant un intérieur qui n’est pas sans rappeler la splendide rusticité de la bibliothèque de Louis Kahn, à Exeter (États-Unis), érigée quasiment à la même époque. Seuls les luminaires néo-liberty contrebalancent la rigueur intrinsèque du lieu.

À Lisbonne
Non loin du brouhaha de la place Marquês de Pombal, la Fondation Calouste Gulbenkian (av. de Berna, 45A) est, a contrario, un havre de paix, uniquement troublé par les cris des canards qui barbotent dans l’étang. Il y est pourtant aussi question de « brutalisme ». Construite en 1969 par le trio Alberto Pessoa, Pedro Cid et Ruy d’Athouguia, la Fondation s’inspire davantage de l’école anglaise du New Brutalism d’Alison et Peter Smithson que de Le Corbusier, le béton notamment ayant été laissé brut et non blanchi à l’enduit façon Style international. Sa texture aride se marie néanmoins agréablement avec des matériaux précieux, telles des essences africaines pour les parois intérieures ou le cuivre pour les portes et le toit. Dans l’auditorium, une vaste baie vitrée s’ouvre sur le jardin. On dit qu’elle aurait inspiré le Néerlandais Rem Koolhaas pour la Casa da Música, à Porto. Le mobilier, élégant, est signé par le designer Daciano da Costa. Dans le hall, un étonnant Panneau-Sculpture de l’artiste Artur Rosa, fait de sphères en Inox et d’éléments de Plexiglas, s’échappe par une fenêtre pour se poursuivre sur le mur extérieur, dans le jardin. Grimper sur la terrasse supérieure permet d’admirer le beau travail réalisé par les deux paysagistes António Viana Barreto et Gonçalo Ribeiro Telles : le jardin à l’anglaise et les toits végétalisés avec leurs chemins de dalles inégales et délicieusement graphiques.

Outre l’édifice, s’impose évidemment une visite de la collection réunie par Calouste Sarkis Gulbenkian (1869-1955), entrepreneur devenu amateur d’art et philanthrope. En tout : quelque 6 000 pièces – un tiers sont exposées –, dont une délicate Diane en marbre de Jean-Antoine Houdon, une huile surprenante signée Pascal-Adolphe-Jean Dagnan-Bouveret, Les Bretonnes au pardon, sans oublier un « cabinet de curiosités » consacré à René Lalique.

Faire escale à Cascais
Plus à l’est, au bord du Tage, sur une ancienne zone industrielle rebaptisée « Parc des Nations », subsistent quelques ouvrages de l’Exposition internationale de 1998, dont le fameux Pavillon du Portugal réalisé par Álvaro Siza, avec son gigantesque et mince voile de béton posé en l’air telle une feuille de papier. Sur l’eau, se dandinent les cabines-œufs du téléphérique qui traverse le site et, en arrière-plan, se déploie le monumental pont Vasco de Gama. La capitale portugaise pullule de bâtiments plus récents, comme le nouveau siège de la compagnie nationale d’électricité EDP (av. 24 de Julho, 12A) imaginé par l’agence lisboète Aires Mateus avec, au rez-de-chaussée, une vaste place publique ombragée.

Sur les hauteurs, depuis le Castelo São Jorge (rua de Santa Cruz do Castillo), la vue est à couper le souffle. À l’intérieur de l’enceinte, sur le site archéologique Praça Nova, João Luís Carrilho da Graça a recréé, en 2010, deux maisons datant de l’époque médiévale musulmane. Un exploit : l’ensemble de la structure ne repose que sur six points d’appui, si bien que les murs contemporains semblent flotter en apesanteur, découvrant de manière subtile les vestiges antiques. À l’horizon, en direction du Tage, on distingue les clochetons blancs de l’église Saõ Vicente de Fora, le monument le plus visité du Portugal.

On ne peut séjourner à Lisbonne sans faire un crochet par la cité balnéaire toute proche de Cascais. S’y trouvent un petit bijou d’architecture blanche et discrète conçu par Aires Mateus, le musée-phare de Santa Marta (Praceta Farol), ainsi qu’une autre perle : la Casa das Histórias Paula Rego (avenida da República, 300), musée imaginé par Eduardo Souto de Moura. Dans la verte forêt alentour, ses deux hauts puits de lumière pyramidaux en béton rouge rappellent quelque cheminée primitive et logent l’œuvre fascinante de cette immense artiste portugaise, laquelle s’est frottée à des thèmes aussi ardus que les fantasmes de l’enfance (Pillowman, 2004) ou la douleur d’une veuve (Femme-Chien, 1994).

Direction Porto, par Coimbra
Pour rejoindre Porto, au nord, on peut amplement prévoir un arrêt à Coimbra, à quelque deux cents kilomètres, soit deux bonnes heures de voiture par l’autoroute A1-E80. Cette cité au centre du pays est réputée pour être la ville universitaire la plus ancienne du Portugal. En témoigne l’ancien Laboratoire chimique de l’université, devenu Musée de la science sous la houlette de l’architecte João Mendes Ribeiro. Au pied du couvent de São Francisco, João Luís Carrilho da Graça, lui, achève cette année le nouveau Centre de conventions, dont le toit devient une place par laquelle on accède grâce à un judicieux télescopage de garde-corps et de rampes de béton. De son côté, José Paulo dos Santos a réalisé le Conservatoire de musique municipal (rua Pedro Nunes). Sa façade sur rue arbore des percements aussi rythmés qu’une portée et ses ailes, au cœur de la parcelle, s’accrochent au terrain en pente.

Pour mettre en valeur le célèbre monastère de Santa Clara-a-Velha (rua das Parreiras), construit entre les XIVe et XVIIe siècles, Alexandre Alves Costa et Sérgio Fernandez – Atelier 15 – ont redessiné le parcours extérieur de visite et planté, à l’entrée du site, un édifice sobre et discret qui fait office de musée archéologique. Parfois, en hiver, ce satané fleuve Mondego déborde, inondant les vestiges de l’église. Image surréaliste : on la dirait alors posée sur l’eau. « Enfant, je me souviens y être entré en barque par les fenêtres hautes », raconte Sérgio Fernandez.

Avant de reprendre l’autoroute A1 en direction du nord, pour rejoindre Porto, les stakhanovistes se fendront d’un détour supplémentaire – une quarantaine de kilomètres plein ouest, par la N111 –, pour aller admirer sinon un miracle, un ovni : la Capela de Santa Filomena, construite dans le village de Netos. Cette Immaculée Conception est signée Pedro Mauricio Borges. D’une extrême simplicité, l’édifice taillé tel un diamant n’arbore ni dorures ni vitraux, mais une immense baie vitrée qui, de l’extérieur, invite le regard à y pénétrer et, de l’intérieur, hisse ledit village comme toile de fond. Après cette surprise, on pourra au choix aller se détendre sur la Praia da Claridade, l’immense plage de sable fin de Figueira da Foz, cité balnéaire toute proche, ou bien rejoindre illico Porto, à environ 1 h 30 de route.

Porto et sa banlieue
Côté architecture contemporaine, la métropole portuaire du nord n’a rien à envier à sa consœur du sud, tant elle regorge, elle aussi, de multiples trésors. Entrer à Porto équivaut à pénétrer un royaume : celui du maître, Álvaro Siza, 83 ans, Pritzker Prize 1992, dieu vivant de l’architecture lusitanienne. C’est lui d’ailleurs qui, il y a 25 ans, a conçu l’antre où l’on forme les futurs maîtres d’œuvre : l’école d’architecture de Porto (via Panorâmica Edgar Cardoso), laquelle joue la vigie sur le fleuve Douro. Les percements des pavillons logeant les ateliers dessinent des visages avec les appuis de fenêtre en guise de sourcils, dont, paraît-il, celui de la figure tutélaire, Fernando Távora, disparu en 2005. Siza a également réalisé, en 1999, le superbe Musée d’art contemporain de la Fondation Serralves (rua Dom João de Castro, 210), un bâtiment constitué de deux ailes asymétriques orientées plein sud, dans lequel la lumière naturelle surgit comme par enchantement. Une balade dans le parc s’impose, car il fait place à des pointures de la sculpture, tels Claes Oldenburg, Richard Serra, Dan Graham ou Veit Stratmann.

Adepte, sinon fils spirituel de Siza, Eduardo Souto de Moura, second Pritzker Prize portugais – cru 2011 –, a lui aussi beaucoup œuvré à Porto. Sur l’avenida dos Aliados, il a habillé les murs de la station de métro éponyme d’azulejos couleur vert d’eau et déployé d’élégants bancs en granit. L’une de ses premières réalisations, la Casa das Artes (rua Ruben A, 210) joue avec bonheur avec divers matériaux : béton, enduit, brique, pierre. Elle est un franc clin d’œil à l’esthétique du Pavillon allemand à Barcelone de Mies van der Rohe. Cette même influence « miesienne » sourd de la tour Burgo aux façades strictes, sur l’avenida Boavista (au n° 1837).

Derrière ces deux « Pritzker », la relève est néanmoins assurée. Pour preuve, le travail du duo Cristina Guedes et Francisco Vieira de Campos. Lorsqu’on franchit à pied le pont Luis 1er – d’où la vue sur la ville est aussi à couper le souffle ! –, en direction de Vila Nova de Gaia, on découvre, à l’autre extrémité, la station haute du téléphérique qu’ils ont conçu, dont les cabines profilées descendent en douceur jusqu’à la rive du Douro, 60 m plus bas. Mais chassez le naturel, il revient au galop : passage obligé, la maison natale d’Alvaro Siza (rua Roberto Ivens, 582), à Matosinhos, dans la banlieue nord-ouest de Porto. Dans le jardin, le petit pavillon qu’il a édifié à l’âge de 16 ans affiche déjà les prémices de son style futur. Non loin, la ville de Leça da Palmeira, elle, est un mythe, sinon source de la modernité portugaise. Comme les dévots vont à Fatima, les pieux fans d’architecture se doivent d’y passer. Sur un éperon rocheux, est juchée la fameuse Casa de Chá da Boa Nova, premier projet de Siza. Édifié en 1958, rénové en 1991 puis en 2014, ce restaurant épouse pleinement la topographie du paysage. Sa toiture dégringole, tout comme les marches à l’intérieur, plongent vers de larges baies vitrées, à pic sur l’océan Atlantique. À une encablure de là, invisible de la route, un autre « monument » : la Piscina das Marés ou « piscine des marées ». Pour ne pas offusquer la mer, Siza s’est fait humble, s’immisçant sur la pointe des murs entre les affleurements rocheux. En rien sa construction n’altère la beauté naturelle du site, elle le révèle. Tôt le matin, des surfeurs chevronnés viennent y dompter les vagues.

L’architecture portugaise à paris

Baptisée « Les Universalistes, 50 ans d’architecture portugaise », l’exposition, conçue à l’occasion du 50e anniversaire de la Fondation Calouste Gulbenkian à Paris, propose un regard sur un demi-siècle de pensée et de production architecturale lusitanienne. Son commissaire, l’architecte et professeur d’université Nuno Grande, a réuni très exactement 50 projets, mêlant des travaux de maîtres d’œuvre reconnus à des réalisations de quelques-uns des architectes les plus prometteurs de ces dernières décennies.

Les universalistes, 50 ans d’architecture portugaise

du 13 avril au 29 août 2016. Cité de l’architecture et du patrimoine, 1, place du Trocadéro et du 11-Novembre, Paris-16e. Ouvert tous les jours de 11 h à 19 h, nocturnes le jeudi jusqu’à 21 h, fermé le mardi. Tarifs : 8 et 6 €. www.citechaillot.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°692 du 1 juillet 2016, avec le titre suivant : Au Portugal, sur la route de l’architecture

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