Françoise Pétrovitch, escales méditerranéennes

Par Vincent Delaury · L'ŒIL

Le 24 juin 2016 - 526 mots

Exposée à Marseille, Tarascon et Arles,
l’œuvre de l’artiste se révèle plus ambivalente
qu’on ne pourrait le penser à première vue.

Alors qu’un musée américain dédié exclusivement à la création artistique féminine, le National Museum of Women in the Arts de Washington, a acquis récemment un de ses grands diptyques, la Française Françoise Pétrovitch préfère prendre ses distances avec l’art dit féminin car, à raison, avec sa démarche protéiforme ne s’interdisant aucun médium (lavis, peinture, sculpture, céramique, vidéo), elle fuit les étiquettes. Dans la revue Rendez-vous, la plasticienne déclarait en 2015 au critique d’art Michel Nuridsany : « Les gens ne comprennent pas ce que je fais. Beaucoup pensent que c’est léger. Parce qu’il y a de l’esthétisme et que c’est jamais vraiment violent. Il y a parfois quelque chose d’inquiétant, mais en deuxième moment. Souvent, on regarde vite, on n’a pas toujours le temps de voir arriver le deuxième moment. Ça peut même être interprété comme quelque chose d’un peu “fifille”. Mais il y en a qui comprennent. »

Un art double
Face à ses feuilles et tableaux, il faut en effet gratter la surface de l’image, parsemée de jeunes personnages et d’oiseaux de plus en plus nombreux, pour cerner que c’est l’entre-deux, symbolisé par l’adolescence incarnant la précarité des états entre l’enfance et l’âge adulte, qui sous-tend une démarche exigeante se coltinant à de grandes questions : l’âge de tous les possibles qu’est l’adolescence, mais aussi l’origine, la mémoire, le double, l’étrangeté… Manifestement, ce qui fait la force de cet art est que, dans sa réalisation même, il vient épouser l’aspect flottant de kids rêveurs, qu’on dirait tout droit sortis d’un film de Gus Van Sant célébrant la promesse de la jeunesse mais aussi sa fragilité : dans ses dessins, Pétrovitch laisse filer une encre se propageant par capillarité sur le fond blanc du papier et, dans ses nouvelles peintures qu’elle dévoile cet été au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur (Marseille), au Château de Tarascon ainsi qu’à l’Espace pour l’art d’Arles, de grandes figures fluides se superposent, à la Picabia, jusqu’à se confondre pour capter les transformations et les métamorphoses du corps adolescent.

À l’instar de Janus qui affiche deux visages, le travail de Pétrovitch est double ; il n’est d’ailleurs pas impossible que cette ambivalence soit à l’image de l’artiste, au demeurant assez mystérieuse. « Très forte, très fragile, modeste en apparence, note Michel Nuridsany, mais pas tant que ça au fond. J’adore son rire juvénile, presque roucoulé ; ses insolences, qui fusent on ne sait comment, disparaissent dans un sourire. Il est difficile pour une femme d’être artiste et d’avoir des enfants. Elle réussit admirablement et l’un et l’autre – me semble-t-il. Ce n’est pas rien. » Ce qui n’est pas rien non plus, c’est de ressentir chez Françoise Pétrovitch, lorsqu’on la rencontre dans son antre à Cachan, une force en marche, alimentée par un trait vif et juste, la conduisant en région Paca et bien au-delà ; son galeriste parisien Benoît Porcher (Semiose) annonce des expositions personnelles de Pétrovitch pour l’automne prochain à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Après les Américains, espérons que les Russes sauront être conquis par cet univers personnel éminemment poétique.

« Françoise Pétrovitch, S’absenter », Frac, 20, boulevard de Dunkerque, Marseille (13), du 2 juillet au 30 octobre 2016, ouvert du mardi au samedi de 12 h à 19 h, le dimanche de 14 h à 18 h, fermé le lundi. Tarifs : 5 et 2,50 €, gratuit le dimanche. Commissaire : Pascal Neveux. www.fracpaca.org

« Îles », Galerie Espace pour l’art, 5, rue Réattu, Arles (13), du 4 juillet au 6 août 2016, ouvert du mardi au samedi de 14 h à 19 h. Entrée libre. Commissaire : Laetitia Talbot. www.espacepourlart.com

« Verdures », Château de Tarascon, Centre d’art René d’Anjou, boulevard du Roi-René, Tarascon (13), du 2 juillet au 30 octobre 2016, ouvert tous les jours de 9 h 30 à 17 h 30, jusqu’à 18 h 30 de juin à septembre. Tarifs : 7,50 et 5,50 €. Commissaire : Aldo Bastié. chateau.tarascon.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°692 du 1 juillet 2016, avec le titre suivant : Françoise Pétrovitch, escales méditerranéennes

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